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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 10

Le jeudi 9 décembre 2021
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 9 décembre 2021

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

Déclaration de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme vous le savez, il y a eu deux candidates à la présidence intérimaire. Je souhaite remercier l’honorable sénatrice Bovey et l’honorable sénatrice Ringuette d’avoir posé leur candidature et présenté ainsi au Sénat deux excellents choix.

Le processus de vote établi conformément à l’ordre et l’annonce est maintenant complété, et le greffier a compilé les résultats. J’ai donc le plaisir de vous annoncer que l’honorable sénatrice Ringuette sera Présidente intérimaire pour le reste de la session. Conformément au processus établi, la motion suivante est réputée proposée, appuyée et adoptée : « Que l’honorable sénatrice Ringuette soit nommée Présidente intérimaire pour le reste de la session. »

Chers collègues, je sais que, tout comme moi, vous voudrez féliciter la sénatrice Ringuette pour ses nouvelles responsabilités et je sais que vous vous joindrez à moi afin de remercier la sénatrice Bovey d’avoir posé sa candidature.

Merci, sénatrice Ringuette, pour votre travail assidu au service du Sénat. Je vous offre mes plus sincères félicitations et mes meilleurs vœux de réussite.

[Traduction]

La présidence intérimaire du Sénat

Remerciements

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, si je puis me permettre, j’aimerais faire quelques petites observations.

[Français]

Chers collègues, je suis très honorée de votre soutien et de votre confiance, et je vous en remercie. Moi aussi, je veux remercier la sénatrice Bovey pour sa candidature, et M. le Président et M. le greffier pour le processus démocratique qui a été choisi.

[Traduction]

Je tiens également à dire que chacun d’entre vous peut compter sur mon dévouement tandis que nous nous efforçons d’effectuer un second examen objectif des questions dont nous sommes saisis. Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, monsieur le Président et ma chère collègue la sénatrice Ringuette, je vous offre mes plus sincères félicitations et j’ai hâte de faire tout ce que nous pourrons au Sénat pour vous aider à vous acquitter de ces responsabilités. C’est un véritable honneur de siéger avec vous au Sénat. Je vous remercie, Votre Honneur, d’avoir mené à bien le processus.

Chers collègues, je vous remercie grandement d’avoir appuyé le nouveau processus et tous les sénateurs qui ont posé leur candidature.

Des voix : Bravo!


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Loi sur le Parlement du Canada

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, comme certains d’entre vous le savent, le Président de l’autre endroit a fait une déclaration hier concernant la recevabilité du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois.

En tant qu’enthousiaste partisan du projet de loi S-2, j’ai été surpris et franchement très déçu par la déclaration du Président de l’autre endroit.

Comme nous le savons, pour s’assurer que les sénateurs soient les premiers à se prononcer sur une mesure législative concernant leur propre assemblée, le gouvernement a incorporé dans le projet de loi S-2 et dans sa version antérieure, le projet de loi S-4, une disposition d’entrée en vigueur de non-affectation de crédits.

Honorables sénateurs, je souligne que les dispositions de non-affectation de crédits comptent parmi les pratiques législatives courantes du Sénat. Au fil des ans, de nombreuses mesures législatives émanant du Sénat présentaient une structure similaire pour permettre au Sénat de proposer certaines politiques tout en respectant les prérogatives de la Couronne et de l’autre endroit.

Le Président du Sénat et le Président de l’autre endroit ont statué que les projets de loi contenant une disposition d’entrée en vigueur différée sont recevables et ne nécessitent pas une recommandation royale. Je précise également que le Président de l’autre endroit n’a pas fait de déclaration semblable au sujet du projet de loi S-4 lors de la législature précédente, même si cette mesure était identique à celle dont nous sommes saisis.

Cela dit, et à la lumière de la déclaration du Président de l’autre endroit, le gouvernement a donné avis de manière proactive qu’il présenterait dans les prochains jours un projet de loi d’initiative ministérielle visant à modifier la Loi sur le Parlement du Canada. Le projet de loi sera accompagné d’une recommandation royale, comme il se doit.

Par conséquent, le gouvernement n’a pas l’intention d’aller de l’avant avec le projet de loi S-2 et il a réaffirmé la priorité qu’il accorde à ces mesures en agissant rapidement et en présentant un projet de loi à l’autre endroit.

Comme le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes l’a mentionné aujourd’hui, la disposition d’entrée en vigueur du projet de loi S-2 montrait clairement que le gouvernement avait toujours eu l’intention de présenter un projet de loi à l’autre endroit accompagné d’une recommandation royale pour apporter les modifications à la Loi sur le Parlement du Canada en lien avec l’évolution du Sénat.

(1410)

Vu qu’un nouveau projet de loi sera présenté à la Chambre des communes, la deuxième étape du processus n’est plus nécessaire pour faire entrer en vigueur les mesures qui ont été adoptées à l’unanimité par le Sénat et qui permettraient d’harmoniser la Loi sur le Parlement du Canada avec la réalité actuelle du Sénat.

Enfin, je tiens à répéter au Sénat que le gouvernement estime que les mesures envisagées dans le projet de loi S-2 sont une grande priorité pour la présente session parlementaire et qu’il a hâte que collaborer avec toutes les parties pour faire avancer cette initiative importante. Merci, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

La sécurité alimentaire

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je vous parle aujourd’hui depuis le territoire traditionnel non cédé des Mississaugas.

Demain, le 10 décembre, sera la Journée des droits de la personne, un moment pour commémorer ce jour où l’Assemblée générale des Nations unies a adopté et proclamé la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est le moment de renouveler notre engagement à l’égard des droits et de la dignité de tous les peuples.

J’interviens aujourd’hui pour parler d’Afri-Can FoodBasket, une initiative de souveraineté alimentaire de la communauté noire de Toronto. Créé en 1995 dans le but de réduire l’insécurité alimentaire au sein de la communauté noire, cet organisme à but non lucratif a fourni de la nourriture à plus de 15 000 ménages uniquement pendant la pandémie.

Afri-Can FoodBasket remet environ 450 boîtes de nourriture par semaine à des habitants de Toronto. L’organisme a une liste d’attente en ligne de plus de 6 000 demandeurs, dont plusieurs vivent à l’extérieur de la région du Grand Toronto. Ce fait à lui seul illustre la nécessité de cet organisme.

Selon une étude récente menée par PROOF et FoodShare, les communautés noires sont 3,5 fois plus à risque de souffrir d’insécurité alimentaire que les Canadiens de race blanche, et ce, même après avoir tenu compte de facteurs tels que le statut d’immigrant, le niveau d’éducation et l’accès à la propriété.

Les enfants noirs sont aussi 34 % plus à risque de souffrir d’insécurité alimentaire, par rapport à 10 % parmi les enfants blancs. Cet écart a été lié à un risque accru de développer des maladies chroniques comme le diabète, l’asthme ou la dépression, ainsi qu’à de piètres résultats en matière de santé et d’éducation, comme des problèmes d’apprentissage, un faible taux de réussite scolaire ou une mauvaise estime de soi.

Comprendre et contrer l’insécurité alimentaire dans la communauté noire, c’est plus que soulager la faim. C’est aussi lutter contre le racisme systémique anti-Noirs et la pauvreté intergénérationnelle au moyen d’une approche multidimensionnelle de tous les ordres de gouvernement, dans l’optique que la sécurité alimentaire est un droit fondamental de la personne.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour remercier le personnel, les bénévoles et les partenaires d’Afri-Can FoodBasket pour leur dévouement et leur engagement envers la justice et la souveraineté alimentaires, en particulier en cette période de pandémie.

Asante. Merci.

L’innovation canadienne

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, je tiens à souligner aujourd’hui le nouveau fonds pour l’innovation technologique canadienne qui s’élève à 200 millions de dollars et qui a été lancé par l’entreprise Communitech, de Waterloo. Leur stratégie intitulée True North Strategy repose sur l’accélération des progrès des entreprises en démarrage et des entreprises en expansion qui démontrent le meilleur rendement afin de les aider à atteindre les sommets du succès international.

Chers collègues, Statistique Canada a signalé qu’au cours des deux dernières décennies, la productivité des industries à forte intensité numérique a augmenté quatre fois plus vite que dans les autres secteurs de l’économie. La numérisation s’accélère. Si nous voulons avoir accès aux recettes fiscales qui nous permettront de soutenir nos programmes sociaux si essentiels, nous devons tout mettre en œuvre pour bâtir une assiette fiscale numérique.

Nous devons consciemment créer les conditions requises pour veiller à ce que la propriété intellectuelle, les sièges sociaux, la haute direction, les investisseurs et les autres éléments cruciaux des entreprises canadiennes de haute technologie dominantes restent au Canada. Autrement, nous continuerons de nous tourner vers les pays étrangers pour acheter les produits et services innovateurs d’origine canadienne. À défaut de le faire, nous pourrions le regretter fortement.

Le monde est en pleine transformation. Toutefois, le gouvernement fédéral tire de l’arrière pour mettre à jour les lois qui nous aideraient à être plus concurrentiels sur la scène à l’échelle mondiale. Nous devons accorder la priorité aux modifications législatives qui ouvrent la voie, entre autres, au système bancaire ouvert et aux données ouvertes ainsi qu’à la mise à jour de nos politiques relatives à l’approvisionnement, à la protection des renseignements personnels et à la concurrence. Le sénateur Wetston a déjà amorcé un examen de cette dernière.

À l’heure actuelle, la deuxième grappe d’innovation en importance dans le monde se trouve au Canada, et sa croissance se fait à un rythme quatre fois plus élevé que ce que l’on constate ailleurs. On retrouve maintenant 200 000 travailleurs du domaine des technologies dans le corridor d’innovation Toronto-Waterloo.

Au cours de la dernière décennie, des Canadiens ont fondé des entreprises telles que Shopify, Lightspeed, Clio, D2L et Instacart, qui sont devenues des chefs de file à l’échelle mondiale. Les 10 plus grandes entreprises de technologie fondées par des Canadiens ont créé une valeur de 367 milliards de dollars et des dizaines de milliers d’emplois. Elles sont toutefois trop nombreuses à se diriger vers le Sud. Pourquoi? Parce que nous sommes peu portés à investir dans les entreprises de technologie canadiennes et à acheter leurs produits.

Trop souvent, le moment où le fondateur d’une entreprise canadienne réussit à obtenir des investissements américains marque le début d’un déménagement à l’extérieur du Canada, juste au moment où la croissance de l’entreprise s’accélère. Communitech nous met au défi de mettre à jour nos politiques réglementaires et d’augmenter considérablement l’accès à des investissements canadiens, à une main-d’œuvre spécialisée en technologie et à des possibilités au chapitre de l’approvisionnement, de manière à encourager la concurrence au Canada.

En effet, la concurrence est source d’innovation, tant pour les joueurs bien établis que pour les nouveaux venus. L’innovation permet d’obtenir plus de valeur à moindre coût et d’accroître notre productivité, ce qui compense notre prospérité en déclin. C’est pourquoi la sénatrice Marty Deacon et moi-même attirons votre attention sur la stratégie True North ou « vrai Nord », de Communitech. Le PDG de l’entreprise, Chris Albinson, a lancé ce plan pour que le Canada puisse décrocher une médaille d’or en innovation. C’est l’équivalent, dans le domaine technologique, de l’organisation À nous le podium, qui a connu un immense succès et qui a été mise sur pied par une olympienne légendaire, Cathy Priestner Allinger, maintenant membre de l’équipe de Communitech.

Chers collègues, le Canada compte des fondateurs de calibre mondial. Il suffit maintenant de les appuyer pour qu’ils aient accès à des employés talentueux, à des marchés canadiens intégrés et à un capital de croissance.

Merci.

Des voix : Bravo!

La maladie de Parkinson

L’honorable Stephen Greene : Honorables sénateurs, comme vous le savez, les sénateurs prennent parfois la parole durant cette tranche horaire pour vous informer de leur état de santé. C’est ce que je veux faire aujourd’hui.

Évidemment, rien ne m’y oblige, mais certaines choses ont changé chez moi depuis la dernière fois que nous nous sommes rencontrés en personne, en mars 2020. Mon changement d’état est si évident à certains égards que vous pourriez vous poser des questions, ce qui inciterait certains d’entre vous, j’en suis sûr, à me prendre à part avec la bienveillance et la sollicitude qui vous caractérisent et à me demander comment je vais.

Afin de prévenir cela et susciter le moins de conjectures possible, j’ai décidé de parler de mon état à vous tous en même temps. Roulement de tambour s’il vous plaît!

Il y a environ deux ans, j’ai appris que je suis atteint de la maladie de Parkinson. Comme certains d’entre vous le savent, c’est une maladie où chaque cas est particulier, c’est-à-dire que ses manifestations vous sont uniques. Si vous l’avez, personne d’autre n’aura exactement la même expérience que vous.

Il n’y a pas de remède. Ce n’est ni héréditaire ni contagieux. Il y a peut-être un lien avec l’environnement, notamment à cause de l’utilisation d’amiante ou de DDT. La maladie de Parkinson n’est pas mortelle en soi, mais elle n’est certainement pas agréable, puisqu’elle perturbe le système moteur et rend plus difficile le dépistage de maladies plus graves. C’est aussi une maladie évolutive, au sens où la situation dégénère progressivement, tout comme dans le Groupe progressiste du Sénat.

La maladie peut causer notamment des problèmes d’équilibre, ce qui est vivement préoccupant pour une personne comme moi qui s’est toujours efforcée de voir les choses de façon équilibrée. Au Canada, passé l’âge de 60 ans, vous avez environ 1 chance sur 105 d’avoir la maladie de Parkinson. Vous pouvez me remercier. Par ailleurs, la maladie peut parfois me donner une voix douce et rauque, comme celle de Clint Eastwood. Elle peut aussi causer de la difficulté à avaler, mais étant l’un des nombreux réfugiés du caucus conservateur dans cette enceinte, j’ai l’habitude de composer avec des choses qui sont difficiles à avaler.

Je suis bien traité par un neurologue exceptionnel. Il me rappelle que bon nombre des symptômes de la maladie de Parkinson ressemblent à ceux d’autres maladies, ce qui rend le diagnostic difficile. Cela me porte à espérer de ne pas être vraiment atteint de cette maladie, mais c’est probablement un vain espoir. À part cela, vous pouvez en savoir davantage sur la maladie de Parkinson en visitant le site Web de la Fondation Michael J. Fox.

(1420)

Enfin, la maladie de Parkinson peut aussi causer de l’incontinence, ce qu’il ne faut pas confondre avec la façon dont certains sénateurs, particulièrement au Groupe des sénateurs indépendants, ont parfois du mal à se contenir pendant leurs discours au Sénat. Je parle plutôt de ce qu’on entend généralement par incontinence. Cependant, je promets à mes chers voisins de banquette que je les avertirai suffisamment à l’avance. Merci.

Des voix : Bravo!

L’expression démocratique

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je prends la parole à propos d’une innovation majeure dans le processus d’évolution de la démocratie moderne.

Comme chacun le sait, le mot « démocratie » découle des mots grecs demos, qui signifie « peuple », et kratos, qui signifie « règle ». La démocratie est une forme de gouvernement par laquelle le peuple a l’autorité de délibérer pour adopter lui-même ses lois, ou de choisir des représentants pour le faire à sa place. La démocratie représentative canadienne est d’ailleurs un régime que nous chérissons.

Le 19 novembre, le député Ali Ehsassi et moi avons invité les parlementaires à rencontrer 42 membres de l’Assemblée de citoyens sur l’expression démocratique de 2021, composée de Canadiens choisis au hasard dans chaque province et dans chaque territoire, qui travaillait avec le ministère du Patrimoine canadien sur la réglementation efficace des médias sociaux. Cette assemblée a travaillé avec la Commission canadienne sur l’expression démocratique, coprésidée par la très honorable Beverley McLachlin et par le professeur Taylor Owen sous la direction du Forum des politiques publiques du Canada.

À ce jour, 40 assemblées de citoyens et groupes de référence partout au Canada abordent des thèmes aussi variés que la gestion du bruit à l’aéroport Pearson de Toronto, l’assurance-médicaments nationale, le logement social, l’aménagement du territoire, la polarisation des revenus, les fusions municipales, la réforme électorale et la santé mentale.

Leur popularité étant grandissante dans le monde entier, des assemblées de citoyens ont été mises sur pied afin d’obtenir les commentaires des citoyens sur des questions comme le mariage entre personnes de même sexe, les élections à date fixe, l’avortement, les changements climatiques et d’autres enjeux importants dans des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Écosse, l’Irlande, le Danemark, l’Australie et les États-Unis.

L’ancien sénateur Grant Mitchell, s’appuyant sur son expérience de l’approche de démocratie délibérative utilisée par le gouvernement albertain de Ralph Klein au milieu des années 1990, a vanté les mérites du modèle pour rapprocher les gens et établir un consensus dans les dossiers épineux. Dans son discours au sujet de l’interpellation que j’ai lancée en 2020 sur les voies vers la carboneutralité, il a exprimé le souhait que des assemblées citoyennes soient utilisées pour se pencher sur l’impasse climatique.

Les assemblées citoyennes et les autres outils novateurs de la démocratie délibérative bouleversent le processus habituel d’élaboration des politiques en ajoutant une étape de délibérations citoyennes dès le début, entre l’identification du problème et la formulation de la politique.

Les partisans des modèles de démocratie délibérative soulignent leur capacité à encourager la participation active des citoyens, à réduire l’écart entre les élites et le grand public, à accroître la confiance envers le gouvernement, à créer des politiques publiques qui sont plus souples et qui récoltent une plus grande adhésion et à renforcer notre système démocratique existant pour qu’il résiste mieux aux tendances que sont le populisme, le pessimisme, l’apathie, le cynisme et la polarisation.

Chers collègues, alors que nous cherchons à améliorer le Sénat afin de mieux servir les Canadiens, je sais que nous voulons également améliorer l’ensemble du système démocratique dans lequel nous évoluons.

Honorables sénateurs, permettre à plus de Canadiens de participer aux discussions par l’entremise d’assemblées citoyennes pourrait être une mesure très saine pour notre régime démocratique. Wela’lioq. Merci.

La République de la Barbade

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, alors que nous nous préparons tranquillement à la période des Fêtes, j’aimerais, conformément à la tradition du sénateur Manning, raconter une histoire qui sera source d’espoir, d’optimisme et de réjouissance.

Pour trouver une histoire porteuse d’espoir et d’optimisme, il me suffit de regarder la merveilleuse île de la Barbade. Membre du Commonwealth depuis 1996, le peuple de la Barbade est devenu une république le 30 novembre, il y a à peine quelques semaines. La transition s’est effectuée pacifiquement et a été célébrée dans la joie sur l’île et saluée comme une démarche délibérée en vue de tourner complètement la page sur le passé colonial et de se tourner avec confiance vers l’avenir.

Ce qui constitue déjà un signe d’espoir, ce sont les deux femmes qui dirigent le pays. La présidente Sandra Mason, qui est passée de gouverneure générale à cheffe d’État, puis à la présidence, est une avocate et une diplomate accomplie. La première ministre Mia Mottley est la chef du Parti travailliste de la Barbade et la première femme à être élue première ministre de la Barbade. Elle s’est battue corps et âme pour faire de la Barbade une république.

Récemment, à la COP26, la première ministre Mottley a prononcé un discours empreint de passion, authentique et, à ce que tous ont pu constaté, entièrement improvisé sur le danger imminent pour les pays insulaires tels que les Maldives, Antigua, la Barbade, les Fidji, le Kenya, le Mozambique et le Samoa. En s’adressant au monde entier, elle a dit : « Faites des efforts. » Puis, elle a répété : « Faites plus d’efforts, car notre peuple [...] a besoin que nous intervenions sur-le-champ. »

Ce qui me donne espoir, ce n’est pas seulement le fait que ce merveilleux pays insulaire de toute petite taille a fermement pris son avenir en main, mais aussi le fait qu’il est dirigé par deux femmes fortes qui constituent un exemple pour les femmes du monde entier, et particulièrement pour les femmes noires.

J’espère que vous vous joindrez à moi pour féliciter la Barbade et lui souhaiter nos meilleurs vœux dans sa réincarnation en tant que république.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Audit et surveillance

Adoption du premier rapport du comité

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de présenter, dans les deux langues officielles, le premier rapport (provisoire) du Comité permanent de l’audit et de la surveillance, qui porte sur les nominations des membres externes.

(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 146.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

Le sénateur Wells : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5f) du Règlement, je propose que le rapport soit adopté maintenant.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Dépôt du rapport visé à l’article 12-26(2) du Règlement

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-26(2) du Règlement du Sénat, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le deuxième rapport du Comité permanent de l’audit et de la surveillance, qui porte sur les dépenses engagées par le comité au cours de la deuxième session de la quarante-troisième législature.

(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 138.)

[Français]

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Adoption de la motion concernant la composition du comité

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, l’honorable sénateur Housakos et moi proposons, appuyés par les honorables sénateurs Cordy et Tannas :

Que, nonobstant les articles 12-3(2)f) et 12-27(1) du Règlement et les paragraphes 35(2), (4), (5) et (8) du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, les honorables sénateurs Busson, Cotter, Harder, c.p., Patterson, Seidman et White soient nommés membres du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, et ce, jusqu’à ce qu’une motion soit adoptée par le Sénat conformément à l’article 12-27(1) du Règlement ou que le Sénat remplace autrement les membres du comité;

Que, nonobstant l’article 12-27(2) du Règlement et le paragraphe 35(2) du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, quatre membres du comité constituent le quorum;

Que, nonobstant l’article 12-27(1) du Règlement, pour la durée du mandat des membres du comité conformément au présent ordre, en cas de vacance au sein du comité, le remplaçant soit nommé par ordre du Sénat.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(1430)

[Traduction]

Les emplois de la fonction publique fédérale

Préavis d’interpellation

L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur :

a)L’importance du gouvernement fédéral à titre de plus gros employeur du Canada, puisqu’il compte plus de 230 000 civils à son service;

b)Le fait que, bien que tout le monde comprenne qu’une grande proportion des employés fédéraux travaillent dans la capitale nationale, une tendance s’est développée au cours des dernières années, qui fait en sorte que la répartition des emplois entre Ottawa et les régions est de plus en plus disproportionnée en faveur de la région de la capitale nationale;

c)Le rôle du Sénat dans l’examen et la discussion des possibilités de décentraliser les emplois et les services fédéraux, et à exhorter le gouvernement du Canada à rétablir la répartition historique des emplois, c’est-à-dire un tiers dans la région de la capitale nationale et deux tiers dans le reste du pays, contribuant ainsi à la croissance économique et à la stabilité des régions du Canada.


[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les finances

L’accession à la propriété

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold. Le rêve de posséder leur habitation est de plus en plus irréalisable pour nos jeunes. Une enquête publique, publiée hier, conclut qu’environ la moitié des jeunes à Montréal croient ne jamais pouvoir accéder à la propriété.

L’Association canadienne de l’immeuble a indiqué qu’au cours de la dernière année, le prix des propriétés a augmenté de 20 % dans la région de Montréal et de 13 % à Québec. Au Canada, le taux d’inflation dans le secteur du logement est l’un des plus élevés parmi les pays du G7, alors que le nombre de logements par habitant y est le plus faible.

Sénateur Gold, pourquoi n’existe-t-il pas de plan pour remédier à cette situation? Pourquoi le gouvernement Trudeau n’a-t-il pas de réflexion constructive, par exemple, en faisant le bilan du portefeuille immobilier du gouvernement et de son utilisation?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Vous soulevez une question importante et préoccupante : la situation du logement pour les Canadiens et Canadiennes et surtout pour les jeunes.

Ce n’est pas vrai que le gouvernement n’agit pas, au contraire. Comme il a été annoncé dans le discours du Trône, le gouvernement du Canada continue à s’engager pour faire en sorte que les logements soient plus abordables. Cela comprend, entre autres, la mise en œuvre d’un fonds de 4 milliards de dollars pour accélérer la construction de logements, un engagement à travailler pour les démunis et à mettre fin à ce problème épouvantable dans notre pays, afin d’intégrer un incitatif plus flexible pour ceux et celles qui veulent acheter leur première maison, et aussi un programme pour donner un coup de main aux locataires pour qu’ils deviennent propriétaires.

[Traduction]

Le taux d’inflation au Canada

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) : Ma question complémentaire s’adresse également au leader du gouvernement. Monsieur le leader, une étude publiée ce matin montre que les Canadiens devront débourser 1 000 $ de plus l’année prochaine pour se nourrir. Le coût des légumes devrait augmenter de 7 % et celui des produits laitiers, de 8 %. Ce sont des coûts supplémentaires pour les Canadiens, qui doivent déjà faire face à une augmentation du coût du logement et du transport. Les Canadiens de tout le pays ont déjà commencé à éprouver des difficultés. Pendant ce temps, alors que l’entente entre le gouvernement du Canada et la Banque du Canada sur les cibles d’inflation arrivera à terme à la fin du mois, Bloomberg rapportait ce matin — écoutez bien cela, chers collègues — que le gouvernement Trudeau prévoyait modifier le mandat de la banque et permettre l’établissement d’une cible plus élevée en matière d’inflation.

Sénateur Gold, si ce qu’on rapportait est exact, croyez-vous que les Canadiens ont les moyens de payer encore plus cher les commodités de base? Si vous prenez au sérieux la crise de l’abordabilité, pourquoi le gouvernement ne s’engage-t-il pas à maintenir la cible raisonnable de 2 % d’inflation?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Quiconque fait ses courses, pour lui-même ou pour ses proches, sait combien il est devenu cher de se nourrir ou de nourrir sa famille. Ce problème concerne tous les Canadiens. Le gouvernement s’occupe de ce problème, comme tous les autres gouvernements et secteurs de la société.

Concernant votre question sur l’inflation, une fois de plus, ce n’est pas à moi ou au Sénat de spéculer sur les différentes causes de l’inflation, et plus particulièrement sur l’augmentation du prix des denrées alimentaires. Pour ce qui est de la cible de la Banque du Canada, le gouvernement aura davantage à en dire sur la cible de régulation de l’inflation de cette institution dans les semaines qui viennent.

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Michael L. MacDonald : Sénateur Gold, hier, dans une entrevue donnée à l’émission Power and Politics de CBC, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a déclaré :

Les deux Michael sont actuellement en liberté sous caution, en vertu du droit criminel chinois. Nous voulons nous assurer de trouver une solution avec le gouvernement chinois.

Il s’agit d’une déclaration des plus troublantes. Il est inacceptable qu’une ministre de la Couronne au Canada, de surcroît la ministre des Affaires étrangères, puisse de quelque façon légitimer l’enlèvement, la détention arbitraire, les fausses accusations et le simulacre de procès subis par ces deux Canadiens de la part de la dictature communiste chinoise. Sénateur Gold, pourquoi la ministre Joly a-t-elle dit cela? La ministre ne comprend-elle donc pas ce dossier ou alors s’agit-il de la position du gouvernement du Canada à ce sujet?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La position du gouvernement du Canada a toujours été que la détention des deux Michael était illégale, arbitraire, contraire au droit international et injustifiée et cela vaut encore aujourd’hui.

Le sénateur MacDonald : Encore une fois, vous n’avez pas répondu à la question. Accepter la libération des deux Michael comme étant une remise en liberté sous caution valide la détention illégale de deux Canadiens pendant plus de 1 000 jours. Le Canada ne doit pas faire cela et je suis convaincu que les Canadiens n’acceptent pas cela. Dire que les deux hommes sont en liberté sous caution laisse entendre que le Canada, en quelque sorte, accepte les conditions que les deux Michael doivent respecter pour demeurer en liberté.

Sénateur Gold, pourquoi le gouvernement du Canada accepte-t-il l’idée que les deux Michael soient en liberté sous caution?

Le sénateur Gold : Je répète, la position du gouvernement est que la détention de ces deux hommes était illégale. Le gouvernement se réjouit tout autant que les Canadiens de leur libération.

[Français]

La santé

Les tests de dépistage de la COVID-19

L’honorable Julie Miville-Dechêne : J’ai une question pour le représentant du gouvernement, le sénateur Marc Gold. Depuis l’entrée en scène du variant Omicron, le gouvernement fédéral fait face à un barrage de critiques pour avoir interdit d’entrer au Canada les citoyennes et les citoyens de 10 pays africains, alors même que le variant se propage aussi en Europe et aux États-Unis. Surtout, j’en suis moi-même éberluée, le Canada refuse systématiquement les tests de dépistage de tous ces pays africains, y compris l’Afrique du Sud, qui a une expertise égale ou supérieure à la nôtre en matière de dépistage de masse.

Le Canada est d’ailleurs le seul pays du G7 à exiger des tests de pays tiers. Comment le gouvernement justifie-t-il ces décisions qui ne semblent appuyées par aucun scientifique et qui ressemblent fort à une politique arbitraire et discriminatoire?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénatrice de sa question. En raison de l’émergence du nouveau variant Omicron, nous devons adopter des mesures rapides pour protéger les Canadiens et les Canadiennes. D’ailleurs, je note que le gouvernement a accordé, à la fin de la semaine dernière, une exemption temporaire à la ligne aérienne Lufthansa pour le dépistage, ce qui permettra aux Canadiens de revenir au pays. On m’assure que le gouvernement suit les dernières consignes de l’Agence de la santé publique du Canada, et qu’au fur et à mesure que la situation évoluera, le gouvernement n’hésitera pas à adapter ses mesures, y compris ces consignes et exigences en matière de dépistage.

(1440)

La sénatrice Miville-Dechêne : Je suis étonnée parce que vous dites « suivre les consignes internationales », mais l’Organisation mondiale de la santé a critiqué le Canada pour le refus d’accepter ces tests de dépistage.

Il me semble que pour rejeter les tests de dépistage de 10 pays, dont l’Afrique du Sud, il faudrait avoir des soupçons que ces tests sont soit défectueux, soit truqués ou faciles à déjouer.

Le gouvernement peut-il nous fournir les données sur lesquelles il s’est appuyé, ce qui pourrait nous aider, non seulement nous, mais aussi d’autres pays?

Le sénateur Gold : Merci pour la question, madame la sénatrice.

À mesure que le gouvernement en apprendra davantage sur ce variant, il continuera à travailler avec les provinces et les territoires ainsi que ses partenaires mondiaux pour assurer la sécurité des Canadiens. Le gouvernement travaille d’ailleurs, de façon continue, en étroite collaboration avec les experts en santé publique canadiens et des partenaires mondiaux pour surveiller le préoccupant variant Omicron dans le monde entier.

En ce qui a trait aux balises scientifiques et aux décisions, je tâcherai de faire le suivi avec le gouvernement et je vous ferai part d’une réponse dans les meilleurs délais.

[Traduction]

La sécurité publique

L’exportation et l’importation de biens culturels

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, les préoccupations internationales concernant le trafic de biens culturels sont légitimes et ne cessent de croître avec les inquiétants pillages et saccages d’objets antiques qui ont lieu dans de nombreux pays déchirés par la guerre. Les objets d’art sont le troisième produit le plus trafiqué au monde. Leur nombre augmente de plus en plus vite, et ils servent à financer l’achat d’armes et de drogues. Le Canada est perçu comme un pays laxiste et est devenu une plaque tournante facile d’accès par laquelle transitent ces marchandises illégales.

Récemment, lors d’une conférence méditerranéenne, il a été indiqué que les profits découlant de la destruction et de l’exploitation illicites des sites culturels, réalisés par les organisations criminelles internationales et les groupes et réseaux terroristes, représenteraient entre 3,4 et 6,3 milliards de dollars américains. Il faut intensifier la collaboration internationale avec l’UNESCO et instaurer des lois-cadres aux normes élevées qui renforcent la coopération bilatérale et régionale pour ce qui est de l’application de la loi et des enquêtes. Je suis préoccupée par le manque de connaissances à ce sujet et par le manque de formation de nos agents frontaliers. Que fait le Canada pour renforcer et mettre à jour ses protections et ses réglementations juridiques afin de répondre à ces nouveaux défis entre les pays d’origine, de transit et de destination?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, madame la sénatrice, de votre question. J’ai été informé que, grâce à la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, le Canada a retourné des milliers d’objets importés illégalement à 14 pays partout dans le monde, y compris au Moyen-Orient et en Afrique. Il aurait été impossible de le faire sans les efforts de l’Agence des services frontaliers du Canada, ainsi que des experts dans les musées à l’échelle du pays. Le gouvernement continuera de travailler avec ses partenaires internationaux pour prévenir la détérioration, la destruction et le pillage du patrimoine culturel, que ce soit durant des conflits armés, une occupation ou un acte terroriste.

La sénatrice Bovey : La BBC a rapporté hier que le milliardaire américain Michael Steinhardt a restitué des antiquités d’une valeur supérieure à 70 millions de dollars, qui avaient été pillées et importées illégalement. Il est maintenant soumis à une interdiction à vie d’acquérir des antiquités, mais ne fera pas face à des accusations criminelles. De toute évidence, les vols et la vente de ces objets volés se poursuivent. Que fait le Canada pour accroître l’aide financière accordée à l’UNESCO, qui cherche de l’aide et bénéficie de l’appui des muséologues canadiens, et pour collaborer avec l’UNESCO et le secteur international?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Le Canada s’emploie depuis fort longtemps à protéger le patrimoine mondial qui est menacé. En effet, nous sommes partie à la Convention de l’UNESCO concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels depuis plus de 40 ans. J’ai appris qu’en 2018, le Canada a beaucoup cotisé au Fonds d’urgence du patrimoine de l’UNESCO et qu’il demeure résolu à appuyer les efforts internationaux visant à protéger ce patrimoine.

La santé

L’aide médicale à mourir

L’honorable Pamela Wallin : Sénateur Gold, hier un comité multipartite de l’Assemblée nationale du Québec a demandé à la province de permettre les demandes anticipées d’aide médicale à mourir après un diagnostic de maladie incurable ou invalidante. À l’heure actuelle, la loi canadienne exclut les personnes atteintes de maladies dégénératives comme la maladie d’Alzheimer. Le comité a affirmé que les personnes qui risquent d’être éventuellement frappées d’incapacité devraient avoir le droit de faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir après avoir reçu un tel diagnostic. Les membres du comité ont ajouté que leurs recommandations reflètent une évolution des mentalités. Afin de garantir que le patient prenne une décision de façon libre et éclairée, le comité recommande que la demande anticipée d’aide médicale à mourir soit remplie et signée devant le médecin et qu’elle soit contresignée par deux témoins ou qu’elle soit notariée.

C’est à peu près la même chose que ce que le Sénat avait approuvé au début de l’année, mais que le gouvernement avait refusé. Le gouvernement peut-il revoir sa décision maintenant?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question et de votre implication soutenue dans ce dossier important. Effectivement, le Sénat considérait que le temps était venu d’adopter ce genre de dispositions. L’avis du Sénat n’a pas été retenu à l’autre endroit. Je communiquerai votre avis, vos commentaires et vos questions au gouvernement et je vous reviendrai avec la réponse, le cas échéant.

La sénatrice Wallin : Sénateur Gold, les recommandations du comité ont été jugées pratiques et dignes. Les membres du comité ont convenu de s’appuyer sur le principe d’autodétermination de la personne pour guider les demandes anticipées. Ils ont convenu qu’il appartenait à l’individu de déterminer, en fonction de ses valeurs et de ses convictions, ce qui constitue une vie digne. Depuis mars, ce comité a consacré 75 heures à des audiences, a procédé à deux phases de consultation, a tenu 46 réunions du comité directeur, a entendu 77 personnes et organisations, a accepté 75 mémoires et a reçu 3 421 réponses en ligne — tout cela en neuf mois et entièrement à distance.

Le représentant du gouvernement peut-il demander au gouvernement s’il a l’intention de rétablir le comité parlementaire mixte et obtenir un engagement de le faire dès la rentrée parlementaire à la fin du mois de janvier ou peut-être à une date antérieure?

Le sénateur Gold : Je vais certainement transmettre votre demande, sénatrice Wallin. Je profite de l’occasion pour vous remercier d’avoir souligné le travail important qui se fait au Québec et qui, dans ce cas particulier, ouvre la voie à bien des égards aux autres provinces du Canada.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les réfugiés afghans

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold. J’aimerais vous poser une question de suivi sur les jeunes athlètes féminines dont j’ai déjà fait mention. Le 15 octobre a vraiment été une excellente journée pour le Canada. Ce jour-là, 200 jeunes étudiantes d’une école afghane sont arrivées au Canada par avion et ont été réinstallées en un temps record. Nous souhaiterions que les choses se passent ainsi la plupart du temps, mais ce n’est pas le cas.

J’aimerais que vous vous renseigniez pour savoir si le gouvernement du Canada — en particulier Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et le ministre Sean Fraser — fait une analyse comparative entre les sexes dans les dossiers d’évacuation et de réinstallation des Afghans au Canada. D’après les données empiriques que nous avons, même si le Canada s’est doté d’une politique étrangère féministe et que l’ancien ministre, Marco Mendicino, a fait plusieurs déclarations très vigoureuses promettant que le cas des femmes en situation de risque extrême serait considéré comme prioritaire, en comparaison avec d’autres pays, nous affichions un piètre bilan. Je vous serais reconnaissante de bien vouloir obtenir des précisions à ce sujet.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je me ferai un plaisir de me renseigner.

[Français]

La justice

Les coûts des procédures judiciaires

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

L’été dernier, les Canadiennes et les Canadiens ont appris que le gouvernement Trudeau s’est adressé aux tribunaux pour empêcher les familles de Kristen French et de Leslie Mahaffy d’avoir accès aux informations de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et du Service correctionnel du Canada en prévision de l’audience pour la libération conditionnelle du meurtrier des deux jeunes filles, M. Paul Bernardo.

(1450)

Le gouvernement s’est opposé à la divulgation de ces informations aux familles pour des raisons liées au respect de la vie privée et a gagné le procès. Le gouvernement Trudeau, scandaleusement, a ensuite demandé que les familles paient les frais juridiques du gouvernement, qui s’élèvent à un peu plus de 19 000 $. Le juge a réduit le montant à 4 000 $.

Quelle excuse le gouvernement Trudeau peut-il donner pour demander le déboursement des frais juridiques à ces familles qui ont déjà énormément souffert de la perte de leur enfant?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question.

Je n’ai pas de détails sur le procès que vous venez de décrire ni sur les raisons pour lesquelles cette demande a été faite. Je vais m’informer et je reviendrai avec une réponse dans les meilleurs délais.

Le sénateur Carignan : Si la procédure judiciaire est terminée, pouvez-vous nous dire si le gouvernement a effectivement perçu les 4 000 $ auprès de ces familles? Si la procédure n’est pas terminée, pouvez-vous nous dire si le gouvernement cherche encore à faire payer les frais de cours de 4 000 $ à ces familles et pourquoi il agit ainsi?

Le sénateur Gold : Je vais ajouter cela aux questions que j’adresserai au gouvernement. Merci.

La sécurité publique

La Prestation canadienne d’urgence

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, un article paru dans le quotidien La Presse vendredi dernier mentionnait qu’une fête a été organisée à Montréal en 2020 grâce à de l’argent obtenu illégalement dans le cadre de la Prestation canadienne d’urgence, la PCU. Les policiers ont retrouvé près de 100 000 $ dans les poches de ces criminels. La plupart d’entre eux avaient des casiers judiciaires assez lourds. Certains d’entre eux ont même touché la PCU alors qu’ils étaient détenus. Pourtant, on pensait que le Service correctionnel du Canada intercepterait toutes les enveloppes sur lesquelles on retrouve le petit drapeau rouge. Il semble que non. Durant la même période, on a conseillé à plusieurs reprises à votre gouvernement de mettre en place des mécanismes pour éviter la fraude, surtout en ce qui concerne les détenus.

L’enquête policière a aussi révélé que l’argent obtenu illégalement de la PCU a servi à acheter frauduleusement des armes à feu. On sait qu’à Montréal, les armes à feu sont un fléau.

Pouvez-vous indiquer au Sénat le nombre d’organisations criminelles qui ont utilisé l’argent des honnêtes citoyens pour financer le trafic d’armes, le trafic de drogues ou la traite de personnes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Le problème que vous avez décrit est inacceptable. Le gouvernement canadien partage le sentiment — qui est sans doute partagé ici et partout au Canada — que la fraude et l’utilisation illégale de cet argent sont inacceptables dans notre société.

Je n’ai pas l’information que vous me demandez, c’est-à-dire le nombre de cas et de groupes criminels. Je vais m’informer et je reviendrai avec une réponse sous peu.

Le sénateur Boisvenu : Le gouvernement aurait dû exprimer plus que des sentiments, il aurait dû prévoir une stratégie pour éviter la fraude.

Hier, trois députés conservateurs, M. Paul-Hus, Mme Dancho et Mme Kusie, ont demandé au ministère de la Sécurité publique et au ministère de l’Emploi et du Développement social de faire une enquête dans ce dossier, en particulier en ce qui a trait à la région de Montréal.

Puisque vous ne connaissez pas le nombre d’organisations criminelles qui ont utilisé frauduleusement l’argent des contribuables, vous ne pouvez sans doute pas vous opposer à ce type d’enquête publique qui permettrait de faire la lumière sur la situation. N’est-ce pas?

Le sénateur Gold : Je fais confiance aux instances policières ou gouvernementales, qui seront en mesure de mener leur propre enquête. Le gouvernement du Canada est toujours prêt à collaborer de bonne foi avec ses partenaires provinciaux, territoriaux ou municipaux pour mieux nous protéger contre la fraude.

[Traduction]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les réfugiés afghans

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Hier, le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a affirmé que cela prendrait deux ans pour faire venir les réfugiés afghans au Canada. Je suis consciente des difficultés associées à une telle entreprise, sénateur Gold, mais étant donné que le gouvernement était au courant des difficultés qu’il devrait surmonter depuis des mois, voire des années, est-ce qu’il s’attend à ce que certains de ces réfugiés qui sont en fuite, qui doivent aller de foyer en foyer pour se cacher et qui, en plus, sont aux prises avec une crise humanitaire soient encore vivants dans deux ans?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : De toute évidence, le gouvernement du Canada se soucie de la sécurité de toutes les personnes dont la vie est menacée. Il veut assurer leur sécurité. En précisant que nous espérons pouvoir amener ces réfugiés afghans au Canada dans un délai de deux ans, le ministre faisait de son mieux pour être ouvert et transparent envers les Canadiens. Vous avez fait allusion, à juste titre, aux innombrables défis que devront surmonter le gouvernement canadien et d’autres gouvernements pour mener à bien cette initiative humanitaire. Le Canada continuera de faire de son mieux pour amener en lieu sûr le plus de gens possible, et ce, le plus rapidement possible.

La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Gold, le gouvernement faisait preuve d’ouverture et de transparence, et c’est bien pourquoi il a déclenché des élections le jour de la chute de Kaboul.

Que dois-je dire au jeune homme qui a déjà été intercepté par les talibans, qui a sauté hors de la voiture et qui s’est enfui en courant dans les marchés? Les membres de la famille de ce jeune homme m’ont contactée pour me dire qu’ils ne savent pas quoi faire. Il est recherché. Que dois-je lui dire?

Le sénateur Gold : Il n’y a pas de mots pour réconforter une famille qui vit une telle détresse, et il serait présomptueux de ma part de tenter d’en trouver. Le Canada fait de son mieux, et j’espère que les membres de la famille dont vous parlez, y compris le fils, demeurent en sécurité.

Les affaires étrangères

La tragédie du vol PS752 d’Ukraine International Airlines

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader, nous célébrons demain la Journée des droits de la personne. Ma question porte sur l’Iran et la destruction du vol PS752, qui a tué 176 personnes, y compris 55 Canadiens et 30 résidents permanents du Canada. Près de deux ans se sont écoulés depuis cette terrible tragédie, et les familles des victimes demandent toujours que justice soit faite et que des comptes soient rendus au nom de leurs proches.

Depuis l’écrasement, ces familles ont été victimes d’intimidation, de harcèlement et d’abus de la part des autorités iraniennes. Les familles en savent très peu sur les procédures intentées contre 10 personnes anonymes devant une cour martiale, qui ont été récemment lancées à Téhéran. L’Iran a également refusé de participer à des négociations sur des mesures de réparation.

Monsieur le leader, un avocat représentant les familles a dit précédemment que le gouvernement canadien manquait de transparence et n’était d’aucune aide en ce qui concerne leur poursuite au civil contre le régime iranien. Quelles mesures concrètes prenez-vous pour assister ces familles en ce moment?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La priorité du gouvernement était et demeure de faire tout en son pouvoir pour aider les familles des victimes. Les actions de l’Iran de même que son manque de transparence ont été condamnés par le gouvernement, et ils continuent de l’être. Le gouvernement est déterminé à travailler en étroite collaboration avec ses alliés et avec d’autres nations touchées, comme l’Ukraine, la Suède, l’Afghanistan et le Royaume-Uni, pour demander justice au nom des victimes.

La sénatrice Martin : Monsieur le leader, j’ai déjà parlé de la motion de juin 2018 adoptée à l’autre endroit visant à inscrire immédiatement le Corps des Gardiens de la révolution islamique dans la liste des entités terroristes établie en vertu du Code criminel du Canada. Cela ne s’est pas produit, et, de toute évidence, cela ne se produira jamais sous le gouvernement actuel. Monsieur le leader, le gouvernement a refusé d’imposer les sanctions prévues dans la loi de Magnitski aux dirigeants iraniens impliqués dans l’écrasement du vol PS752. Le gouvernement a également indiqué qu’il envisageait de traduire l’Iran devant la Cour internationale de Justice, mais rien n’a encore été fait en ce sens non plus. Monsieur le leader, quelle est la position actuelle du gouvernement sur ces deux questions : les sanctions prévues dans la loi de Magnitski et la Cour internationale de Justice?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Le gouvernement a déjà appliqué dans le passé les sanctions prévues dans la loi de Magnitski. Il prend très au sérieux son obligation d’examiner les faits avant de tirer cette conclusion, et il continuera de le faire dans de telles circonstances.

(1500)

En ce qui concerne la Cour internationale de justice, je ne sais pas quelle est la position actuelle du gouvernement. Je vais faire tous les efforts nécessaires pour m’informer, puis je vous transmettrai l’information.

L’environnement et le changement climatique

La Conférence des Parties

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold.

Dans votre discours sur votre motion visant à maintenir la tenue de séances hybrides au Sénat, vous avez parlé des dangers associés au fait que les honorables sénateurs prennent un ou deux vols pour venir ici et qu’ils circulent dans divers aéroports bondés partout au pays. Or, le mois dernier, le gouvernement Trudeau n’a eu aucun scrupule à envoyer une délégation de 300 personnes, y compris des représentants d’organisations non gouvernementales, des bureaucrates, des politiciens et d’autres intervenants, qui ont pris l’avion jusqu’à Glasgow pour participer à la COP26 en personne.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire combien de fonds publics ont été dépensés par le gouvernement pour que tous ces gens participent à la COP26? Pouvez-vous indiquer plus précisément au Sénat quelles personnes ont vu leurs frais de déplacement et d’autres frais payés par les contribuables pour qu’elles puissent participer à cette conférence? Étant donné que le gouvernement a participé à un événement qui, selon de nombreux reportages des médias, comportait un fort risque de propagation, êtes-vous prêt à fournir cette information au Sénat dans les plus brefs délais?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour cette série de questions. Je verrai à obtenir les renseignements demandés et à les communiquer en temps et lieu.

Pour ce qui est du discours que j’ai prononcé au sujet des séances hybrides, je maintiens ce que j’ai dit alors. Nous avons été nommés pour siéger au Sénat. Nous n’avons pas le choix d’assister ou non aux séances. Il est donc tout à fait approprié de mettre des mesures en place afin que les personnes qui sont appelées à servir le pays au Sénat puissent le faire de manière sécuritaire. Elles n’ont pas d’autre choix que de prendre part aux travaux, et nous sommes heureusement en mesure d’accommoder celles qui, notamment pour des raisons de santé, ne peuvent pas voyager ou jugent que les déplacements requis seraient risqués.


ORDRE DU JOUR

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 8 décembre 2021, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au lundi 13 décembre 2021, à 18 heures.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

Projet de loi visant à modifier le nom de la circonscription électorale de Châteauguay—Lacolle

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dalphond, appuyée par l’honorable sénatrice Cordy, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-207, Loi visant à modifier le nom de la circonscription électorale de Châteauguay—Lacolle.

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, le projet de loi S-207 a plusieurs fois fait l’objet de discussions, et le sénateur Dalphond en a fait un excellent résumé.

Nous comprenons la confusion que crée ce type de situation, lorsque le territoire d’une circonscription ne correspond pas à son nom. Si on faisait une analogie avec les gens qui habitent à Lacolle en disant que la circonscription de Québec vise une partie du territoire de Montréal, on verrait tout de suite qu’il s’agit là d’un non-sens. Or, c’est un peu ce que vivent les gens de ce secteur.

Tout comme je l’ai fait lorsque j’ai prononcé un discours au sujet de ce projet de loi au cours de la dernière session parlementaire, j’appuie la position du sénateur Dalphond quant à la modification du nom de la circonscription.

Je vous invite à voter en faveur du projet de loi S-207 le plus rapidement possible afin que soit corrigée une erreur qui a été commise dans le système de dénomination des circonscriptions électorales.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Dalphond, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

[Traduction]

Projet de loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Patricia Bovey propose que le projet de loi S-208, Loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je m’adresse à vous depuis le territoire non cédé du peuple algonquin et, en tant que Manitobaine, je vis sur le territoire du Traité no 1, qui n’a pas encore été respecté, soit les terres traditionnelles des Anishinabes, des Ojibwés, des Cris, des Oji-Cris, des Dénés et des Dakotas et le berceau de la nation métisse.

Comme le savent tous les agriculteurs et les chimistes, le sens premier du mot culture est celui de « préparation à la croissance ». Or, dans nos collectivités, les gens sont en croissance.

Ce sont là les mots de Mavor Moore, éminent dramaturge canadien et ancien président du Conseil des arts du Canada, tirés de l’introduction du manuel de l’Union des municipalités de la Colombie-Britannique sur l’élaboration de la politique civile dans les arts, intitulé Creative Connections: Arts and Culture in British Columbia Communities. La véracité de sa déclaration ajoute à la substance de l’observation de Ralston Paul : « La culture est le moteur de toute société épanouie. »

La déclaration concernant le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice que je présente au Sénat aujourd’hui donne suite à ces déclarations. Dans son préambule, on reconnaît « le rôle capital des artistes et des arts dans toutes les sphères de la société canadienne » et on y souligne :

[...] la nécessité de respecter et de promouvoir le rôle des artistes et des arts, de sorte que les fruits de l’expression artistique profitent équitablement à tous les Canadiens et résidents canadiens [...]

De plus, le préambule précise ceci :

[...] toute mesure visant à mettre en œuvre la Déclaration au Canada doit prendre en compte la diversité des peuples autochtones et, en particulier, les diverses identités, cultures, langues, coutumes et pratiques des Premières Nations, des Inuits et des Métis, de même que la diversité des relations à la terre et des savoirs autochtones, auxquels donnent expression de riches traditions artistiques [...]

Au cours de la dernière année, j’ai consulté plus de 600 artistes et travailleurs du domaine des arts, individuellement ou en groupes de discussion. Les participants à ces consultations représentaient toutes les régions du Canada, toutes les disciplines créatives, tous les âges et toutes les communautés qui composent notre diversité. Les réponses et les commentaires récoltés ont été très positifs et enrichissants. Les discussions se sont déroulées dans les deux langues officielles et elles ont été très stimulantes et riches. Il ne fait aucun doute que les suggestions des participants ont amélioré le document. La création artistique et les processus créatifs sont essentiels pour notre société. Le Canada est très choyé de pouvoir compter sur l’engagement et les talents des artistes, la beauté de leurs créations, le dévouement des travailleurs du domaine des arts et la passion du public. Je remercie toutes les personnes qui ont participé aux discussions pour leur candeur, leur détermination et le courage de leur esprit créatif dans le cadre de ce processus mené à l’échelle nationale. Les conversations qui s’y sont déroulées ont été une véritable source d’inspiration.

(1510)

J’aimerais aussi remercier mes collègues répartis dans tous les groupes du Sénat pour leur appui et leur intérêt à l’égard de cette initiative. Vous avez été nombreux à m’avoir prodigué des conseils et suggéré des personnes avec qui communiquer. C’est ce que j’ai fait. Je peux affirmer que votre apport à la préparation de la déclaration a été très apprécié et que cette dernière tient compte de la vaste gamme des opinions entendues. Je suis très heureuse de pouvoir enfin vous la présenter.

[Français]

Les arts, langue universelle, sont bel et bien un levier de changement social et culturel. Ils reflètent la société et se penchent sur de multiples problèmes. Les arts et la culture sont au cœur de toutes les communautés et diversités, définissant l’esprit du lieu, l’humanité individuelle et sociétale; ils sont porteurs par nature et incarnent l’inclusion sociale, la cohésion sociétale ainsi que nos racines et expériences historiques.

[Traduction]

Un des participants à ces riches groupes de discussion a déclaré, à juste titre, que le pouvoir des arts est de plus en plus reconnu comme un principe fondamental non négociable de notre identité.

Chers collègues, les arts sont holistiques. Je veux que tous les Canadiens réalisent et respectent la contribution essentielle de l’expression créative à tous les aspects de la société.

Bill Ivey, ancien président du National Endowment for the Arts aux États-Unis, a parlé de trois catégories de comportements humains et a dit que la vie expressive est une catégorie de comportements humains, au même titre que la vie professionnelle et la vie familiale. En outre, les recherches scientifiques, médicales et sociales nationales et internationales ont toutes prouvé que l’acte de participation à l’esprit créatif est essentiel à la croissance humaine et sociétale.

C’est donc à des fins sociétales et individuelles que je présente la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada.

Pourquoi, me demanderez-vous? Pourquoi maintenant? Qui sont touchés par la déclaration et quels sont ses objectifs?

[Français]

Chacun des nombreux groupes de discussion a souligné, sans équivoque, avec passion et réalisme, que les arts donnent un sens et un but à la qualité de vie, laquelle était au cœur de bon nombre de nos récentes discussions au Sénat au sujet de la COVID-19 et de l’aide médicale à mourir.

[Traduction]

Les participants ont qualifié plusieurs jalons importants dans le développement des arts au Canada de points de référence fondamentaux. Je crois que l’un des plus importants — imaginez-vous — était la conférence de Kingston de 1941, la toute première rencontre nationale des artistes et des amateurs d’art. Les participants ont reçu des fonds de voyage offerts par la Carnegie Corporation des États-Unis pour leur permettre de venir à Kingston en train en provenance de l’Est et de l’Ouest. La plupart se rencontraient pour la première fois.

Leurs conclusions ont mené à la Commission Massey de 1949, qui portait sur les arts et qui, après de vastes consultations nationales, a présenté un rapport en 1951. La commission a conclu qu’il fallait créer le Conseil des arts du Canada, une recommandation formulée en 1951 qui a finalement été mise en œuvre en 1957, seulement 10 ans avant le centenaire du Canada.

Les célébrations du centenaire ont mis en valeur toutes les disciplines artistiques comme jamais auparavant. Les limites de l’expression créatrice ont été repoussées, et de nouvelles expériences ont conduit à de tout nouveaux modes d’expression. Conjuguée à une nouvelle facilité de déplacement et à des technologies novatrices, cette époque était effervescente et passionnante — beaucoup d’entre nous s’en souviennent —, et les normes sociales évoluaient de multiples façons.

Les années 1980 ont été marquées par un certain nombre de groupes de travail sur les arts, notamment le comité Applebaum-Hébert. D’autres commissions fédérales ont étudié des éléments précis du milieu des arts, leur incidence et leurs besoins.

Plus récemment, la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont énoncé des mesures culturelles cruciales. Sans compréhension culturelle, la réconciliation est impossible.

J’ai déjà parlé ici de l’importance des arts dans la mise en œuvre des recommandations et l’atteinte des résultats finaux de ces deux commissions. Je suis heureuse que, d’une modeste façon, le travail du Groupe de travail consultatif sur la collection de biens patrimoniaux et d’œuvres d’art du Sénat ait pris quelques mesures de « RéconciliAction » : les œuvres qui étaient dans la Salle des peuples autochtones ont été remises en place, élargissant ainsi la représentation à l’échelle du Canada; et le premier musée au Sénat, où on peut voir des œuvres d’art inuit prêtées par le Musée des beaux-arts de Winnipeg et le Nunavut, est situé dans la pièce B30 de l’édifice du Sénat du Canada. Les œuvres qu’on peut y voir représentent des collectivités de partout dans l’Arctique. Je peux vous assurer que d’autres initiatives suivront.

[Français]

Le Canada doit accueillir le changement et les réalités sociétales. De nombreuses personnes de tous les horizons ont exprimé le besoin très réel, pour la société dans son ensemble, d’accepter les questions de décolonisation et d’y donner suite, d’assurer la démocratie culturelle et de corriger le récit de l’histoire canadienne pour y inclure les Autochtones, les Noirs et les histoires diverses. Le mot « excellence » dans le domaine des arts doit également être examiné en tant que critère de soutien des artistes. Qu’est-ce que le mot signifie, selon les définitions de qui? Je prétends que l’excellence n’est pas en noir et blanc, mais varie selon les cultures. De plus, le processus créatif, et pas seulement le produit créatif, est important et doit être reconnu.

Alors, comment créons-nous une « agence » artistique et culturelle dans toutes les régions du Canada? La mémoire et l’expression de l’honnêteté de notre passé et de notre présent sont essentielles. Les artistes font cela : ils racontent des histoires, visuellement, verbalement, en mouvement et en musique, des histoires qui remontent à ces terres vieilles de milliers d’années, et à celles d’aujourd’hui. Sans entendre, voir, absorber et respecter ces histoires, nous ne pouvons pas avancer comme nous le pourrions et comme nous le devrions. Il faut également veiller soigneusement à ne pas créer ou perpétuer des ghettos culturels de création.

[Traduction]

La perception que nous avons des arts doit changer et passer de l’état d’« amusette » à celui de « point d’ancrage ». J’espère que cette déclaration contribuera à équilibrer tous les besoins et les dimensions de la société et qu’elle deviendra le fondement de tous les cadres stratégiques artistiques et culturels, des droits intellectuels et économiques des artistes, des créateurs et des artisans tout en veillant à ce que tant le public que les praticiens aient accès aux espaces et aux lieux de création. Ma longue recherche qualitative, quantitative, sociétale, anecdotique et empirique confirme sans l’ombre d’un doute le rôle essentiel que les arts et la culture jouent dans l’analyse et la résolution des préoccupations de la société. Chers collègues, les faits sont très éloquents.

Par exemple, les arts assurent des emplois au Canada, étant la troisième source d’emplois en importance au pays. Avant la COVID, le secteur des arts contribuait grandement au PIB du pays — comme je l’ai dit l’autre jour, pas autant à la suite de la COVID, mais néanmoins de façon substantielle.

Comme la dernière année l’a clairement démontré, les arts contribuent grandement à la santé physique et mentale et au bien-être des Canadiens. Les arts sont un élément essentiel de l’apprentissage, en particulier chez les écoliers et chez les jeunes — la musique peut faire des merveilles pour l’apprentissage des mathématiques. L’impact des arts dans la prévention de la criminalité est aussi bien connu. La capacité des arts à revitaliser les régions rurales et à sensibiliser les gens à la menace climatique a déjà été démontrée. D’ailleurs, la région des lacs expérimentaux de l’Institut international du développement durable dans le Nord-Ouest de l’Ontario — formée de 58 lacs vierges de la forêt boréale canadienne choisis dans le cadre d’un projet de recherche — s’est dotée d’un pan axé sur les arts.

(1520)

L’institut offre des programmes d’artistes en résidence dans toutes les disciplines. Ce qu’on me dit, c’est que les résultats sont au-delà de toutes les attentes.

En outre, les arts et le patrimoine sont au cœur de l’industrie touristique canadienne. Les organismes du secteur des arts doivent être en bonne santé si nous voulons relancer l’économie touristique du pays et, évidemment, ces organismes ne peuvent survivre sans artistes et sans créateurs.

Honorables sénateurs, je m’inquiète du nombre d’artistes et de travailleurs du secteur des arts qui ont changé de domaine pendant la crise de la COVID — on parlerait de 12 % d’entre eux selon le rapport de Hill Stratégies du 24 février. Les inégalités en matière de soutien à l’emploi et de soutien financier auxquelles les artistes doivent faire face sont considérables. Il faut penser aux conditions de vie et à la sécurité économique et sanitaire post-pandémiques des artistes et des créateurs de tous les domaines et de toutes les sphères de l’économie des petits boulots du secteur de la création.

[Français]

Les réalités auxquelles le Canada fait face maintenant créent le moment le plus approprié pour cette Déclaration concernant les arts, les artistes et l’engagement culturel. Nous devons trouver des moyens de respecter les contributions importantes des arts. Qui n’a pas regardé des événements et des concerts virtuels ou ne s’est pas connecté à des visites virtuelles de musées d’art et de musées pendant cette période où nous vivions nos vies de façon isolée, sans les arts vivants?

Qui n’est pas ému et touché par les dons créatifs des artistes lorsque les communautés vivent des événements traumatisants? À ces moments-là, ce sont vers les arts et les artistes que nous nous tournons. Qui d’entre nous ne s’est pas intéressé aux problèmes de qualité de vie alors que nous étudiions et approfondissions la question de l’aide médicale à mourir? Nous savons que les arts et la culture ont des effets stimulants, réconfortants et bénéfiques sur la santé.

[Traduction]

Pourtant, les arts et les artistes semblent encore être cloisonnés, considérés comme des activités de loisirs et perçus comme un privilège plutôt que comme des activités essentielles à la croissance des communautés, des gens et de la nation. Malheureusement, les arts ont été classés comme un élément du secteur bénévole, ce qui est probablement attribuable au fait qu’une grande partie de la main-d’œuvre dans ce domaine est bénévole. Cette classification ne tient pas compte adéquatement de la valeur du secteur. Pourquoi? C’est parce que ce secteur essentiel est mû par la passion et les idées d’artistes professionnels et de travailleurs des arts qui, à leur tour, assurent la contribution des bénévoles, des étudiants et des professionnels émergents à leur travail et à leurs visions.

Tout au long de ma carrière, j’ai travaillé en étroite collaboration avec des artistes professionnels et des travailleurs du milieu artistique de diverses communautés et à toutes les étapes de leur carrière. Je les remercie de leurs idées, de leurs vérités, des risques qu’ils prennent et de leur détermination inébranlable à poser des questions et à expérimenter. La déclaration a pour but d’honorer et de respecter les créateurs et les travailleurs des arts du Canada qui tissent des relations vraiment positives dans l’ensemble de la société. Elle vise à souligner cette compréhension globale du processus créatif aux fins de ce processus.

[Français]

Cette déclaration respecte les artistes praticiens, les travailleurs du domaine des arts et le public et permet de subvenir à leurs besoins, qu’ils soient autochtones, non autochtones, immigrants ou nés au Canada, dans toutes les régions du Canada. Elle honore la création, la présentation et la diffusion de leur travail, et appelle à un traitement juste et équitable des artistes dans leurs relations de travail et contractuelles, garantissant un niveau de vie de base, la protection du droit d’auteur, l’accès, et la liberté d’expression et d’association.

[Traduction]

Cette déclaration vise l’ensemble des artistes praticiens de toutes origines, pendant toute leur carrière, ainsi que les travailleurs du domaine des arts qui possèdent cette créativité et qui mobilisent les auditoires. Lors de récentes discussions, un professeur d’université m’a mise au défi de choisir trois œuvres symbolisant mes objectifs en tant que sénatrice. La tâche était difficile, mais j’ai arrêté mon choix.

La première œuvre est une sculpture intitulée From Asessippi to Altona. Réalisée par l’artiste winnipegois Don Proch en 2019, elle représente un silo. L’artiste lie les traditions du passé aux nouvelles réalités en montrant la prairie verdoyante, les anciennes et les nouvelles technologies et les menaces environnementales actuelles causées par les pluies acides.

La deuxième est aussi une sculpture, cette fois réalisée par l’artiste métisse Val Vint en 2020. Il s’agit d’une œuvre poignante intitulée Education is the New Bison. Installé à la Fourche de Winnipeg, ce bison de 12 pieds est construit avec des livres d’acier qui représentent les écrits d’auteurs autochtones du Canada.

La troisième a été réalisée par l’artiste autochtone britanno-colombien Arthur Vickers de Cowichan Bay en 2011. Intitulée Intangible Heritage, cette œuvre a été réalisée avec des médiums translucides, de la laque et de la poudre d’or avant d’être incrustée et recouverte à la main de feuille d’or. Elle représente les racines culturelles et ancestrales de l’artiste. La figure centrale a les bras tendus vers les générations futures et regarde vers l’avant. L’imagerie complexe de Vickers est traditionnelle, mais sa technique et sa vision sont vraiment novatrices et avant-gardistes.

Ces trois œuvres représentent les principes clés qui sous-tendent cette déclaration pour les artistes, les organismes artistiques et les auditoires intéressés par les arts, puisqu’elles font l’éloge du passé, du présent et de l’avenir, de la tradition et de l’innovation, du respect et du soutien ainsi que de l’honneur et de l’engagement.

Les spécialistes ont établi les quatre piliers des collectivités durables : le capital social, le capital humain, le capital naturel et le capital culturel. Sans le quatrième pilier, la société est comme un tabouret instable à trois pattes. Dans les mots de l’Australien Jon Hawkes, l’auteur de l’ouvrage intitulé The Fourth Pillar of Sustainability: Culture’s Essential Role in Public Planning :

La créativité fait jaillir la lumière de la noirceur.

L’art fait jaillir le feu de la lumière.

La culture fait jaillir la chaleur du feu.

Cette déclaration se veut une plateforme pour la créativité, la lumière, l’art, le feu, la culture et la chaleur. Elle établit des principes directeurs, une vision et des valeurs fondamentales pour l’expression artistique et créative et l’accès à celle-ci, ainsi que pour l’élaboration de politiques et de mesures législatives.

Il y a plus de 10 ans, bien avant que je sois sénatrice, j’ai défendu l’établissement d’une charte canadienne des droits culturels qui donne un accès universel à l’art et à la culture, protège la propriété intellectuelle et enrichit le quotidien.

Honorables sénateurs, je pense que le Sénat est la bonne tribune pour lancer une telle initiative et faire de notre pays un meilleur endroit pour tous. Les droits fondamentaux de la personne sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui a suivi, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Recommandation de 1980 relative à la condition de l’artiste de l’UNESCO et la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Le Canada en est signataire.

Cependant, nous n’avons pas encore pris suffisamment de mesures.

Au cours de la dernière année, les participants des groupes de discussion m’ont dit qu’il est absolument primordial que le Canada aligne sa manière de concevoir le domaine des arts et les mesures de soutien envers ce secteur sur les déclarations et les documents de l’UNESCO relatifs aux arts. Collectivement, ils ont clairement souligné que le Canada doit tenir compte des arts et de la culture dans l’ensemble des politiques, des programmes et des investissements qui touchent le domaine des arts et la société en général.

[Français]

De plus, la déclaration s’appuie sur d’autres rapports et objectifs du Sénat. L’article 8 vise à assurer que :

Chaque artiste canadien a le droit d’être représenté à l’étranger, et le public a le droit de connaître et d’explorer l’art de toutes les époques et de toutes les régions du monde.

Cela s’appuie sur le rapport sénatorial de 2019 intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada. Patrimoine canadien élabore les stratégies de mise en œuvre de l’étude, et Affaires mondiales Canada et le Conseil des arts du Canada ont adopté ses objectifs et ses principes.

(1530)

Le Canada est formé de communautés et de cultures, de même que de gouvernements fédéral, provinciaux, civiques et des Premières Nations. Chacun a son propre mandat et son propre cadre de référence. Souvent, il y a un manque de connexion et de compréhension entre chacun d’eux. Je crains que cette réalité ne fasse que renforcer l’existence de silos individuels.

En période de prospérité, les arts profitent d’un certain soutien financier. Durant les périodes moins favorables, ils sont souvent écartés du centre, et leurs programmes de financement sont coupés sans analyse préalable ni considération pour les pertes subséquentes pour la santé physique ou mentale des individus, ou pour la société dans son ensemble.

Les compressions peuvent équilibrer un budget à court terme, mais elles peuvent être très coûteuses pour la société dans son ensemble à plus long terme. Nous oublions, à nos risques et périls, qu’il est sage d’investir dans les arts. Les arts et la culture « remboursent », de manière tangible et intangible. Pendant de nombreuses années, j’ai constaté que les arts paient aux gouvernements plus de trois fois leur part d’impôt par rapport au total des budgets consacrés aux arts par les trois ordres de gouvernement. Cela s’ajoute à l’espoir, à la vision et au réconfort que procurent les arts.

[Traduction]

Par conséquent, la déclaration stipule ceci :

Est reconnue et confirmée par les présentes la contribution essentielle des arts, de la culture et du patrimoine à la santé et au bien-être social et économique de toute personne au Canada, y compris tous les aspects de la justice sociale et de la réconciliation.

Et :

Chaque artiste a droit à la propriété intellectuelle et à la protection du droit d’auteur de ses œuvres; le droit d’être à l’abri de toute appropriation culturelle; le droit à l’équité en matière d’emploi et à la sécurité économique; et le droit d’être reconnu pour la valeur de ses œuvres, lesquels sont autant de droits indispensables à la santé économique de notre pays.

D’un point de vue pratique, les artistes autochtones perdent des sources importantes de revenus en raison de l’appropriation illégale et non autorisée partout dans le monde de leurs images, symboles, signes et emblèmes pour l’industrie touristique. J’espère que cette déclaration contribuera à renforcer l’application des dispositions sur les droits d’auteurs et les impôts.

La pandémie de COVID-19 a eu un effet dévastateur sur les artistes ainsi que les travailleurs et les organisations du domaine des arts. Le domaine des arts a pratiquement été mis en arrêt total pour les créateurs et le public. Au fur et à mesure que les activités reprennent, j’entends quotidiennement que le chemin est ardu.

Un témoignage entendu lors de la réunion du Comité permanent du patrimoine canadien du 30 octobre 2020 a révélé ce qui suit :

Le PIB réel du sous-secteur des arts, des spectacles et des loisirs s’élevait à 7,3 milliards de dollars en juillet 2020, comparativement à 15,6 milliards de dollars en février 2020. Il s’agit là d’une diminution de plus de 50 % en quatre mois seulement.

D’autres études ont confirmé la crise. Par exemple, la première constatation d’un sondage publié par Abacus Data le 8 février 2021 est que « 85 % des Canadiens croient que la pandémie aura une incidence négative sur les arts et la culture ». C’est le cas.

Le 24 février 2021, Recherches sur les arts a fait rapport de deux sondages, l’un mené auprès d’artistes et l’autre d’organismes artistiques. Les deux sondages ont révélé des données alarmantes. Un travailleur du milieu artistique sur quatre a perdu son emploi, et, entre 2019 et 2020, « les heures travaillées ont diminué de 37 % dans le secteur des arts, du spectacle et des loisirs ». Les classifications des arts d’interprétation et des établissements du patrimoine ont connu une baisse de 35 %. Autrement dit, le rapport signale que « ces travailleurs du secteur culturel ont perdu plus d’une heure de travail sur trois [...] ». Parmi les 1 273 artistes et travailleurs du milieu artistique qui ont répondu au sondage :

[...] 71 % des personnes répondantes travaillaient moins dans le secteur culturel en novembre qu’avant la pandémie de COVID-19, dont 12 % qui ne travaillent plus du tout dans le secteur [...] 68 % des répondants [ont] déclaré un revenu inférieur à celui qu’ils avaient prévu à l’origine [...]

Nous savons que, en période de prospérité, la majorité des gens qui travaillent et qui touchent un revenu inférieur au seuil de la pauvreté sont des artistes. Aujourd’hui, le nombre de personnes dans ce groupe a monté en flèche. Par conséquent, pour respecter ces gens, il faut respecter leur droit d’avoir un contrat de travail et des avantages sociaux équitables ainsi qu’un salaire juste.

Connaissant les données documentant l’intégration essentielle des arts dans la société, nous avons la responsabilité de faciliter l’accès à tous les domaines d’expression créatrice. Le paragraphe 7 de l’annexe stipule ceci :

Chaque artiste, quelle que soit sa discipline, a le droit d’accéder à une place visible dans la vie publique par son art — y compris par des présentations artistiques publiques — et de joindre sa voix et sa vision artistique au débat démocratique.

C’est aussi important, car le paragraphe 9 de la même annexe stipule ceci :

Au Canada, chaque artiste, organisation artistique ou maison de production a le droit de prendre des risques et d’investir dans l’innovation créatrice tout en servant les communautés et l’intérêt public, et doit pouvoir bénéficier en toute indépendance des soutiens et des moyens pour ce faire.

Le paragraphe 10 stipule ceci :

Au Canada, chacun, y compris l’artiste, a le droit d’être à l’abri de toute discrimination fondée notamment sur le racisme, l’âgisme et tous les stigmas, et chaque artiste, y compris celui qui est atteint d’un handicap ou de surdité, a le droit d’avoir un accès physique facile aux lieux et aux espaces de création, de production et de présentation de ses œuvres, qu’il s’agisse de la scène ou d’autres espaces, ainsi qu’aux galeries, musées, studios et espaces de pratique et, notamment, au moyen de débouchés numériques et en ligne.

J’ai pour objectif que cette déclaration devienne la pierre d’assise de l’élaboration continue des politiques dans de multiples ministères. Je pense notamment à la politique sur les musées décrite dans la lettre de mandat de l’ancien ministre du Patrimoine; à la politique culturelle noire demandée récemment par le Caucus des parlementaires noirs; aux moyens requis pour que les objectifs de réconciliation se concrétisent grâce à de véritables réconciliACTIONS; et au travail nécessaire pour régler les enjeux relatifs à la médecine de couloir, à la santé mentale, aux affaires mondiales et encore plus. Autrement dit, je souhaite qu’en reconnaissant et en réaffirmant la valeur des arts et de l’expression créative, la déclaration offre une vision apte à améliorer la société.

[Français]

Les principales questions sous-jacentes sur lesquelles je rumine depuis des décennies sont les suivantes : à qui appartient la culture? Qui doit décider de son avenir? D’où vient la politique? S’exerce-t-elle du haut vers le bas ou de la base vers le haut? Quel est le juste équilibre entre les orientations des gouvernements et les besoins du public?

Les questions qui évoquent la nécessité de la participation du public et de la formation créative pour les personnes de tous âges sont abordées dans les articles 2 et 3 de la déclaration, dont le texte figure à l’annexe du projet de loi S-208 :

Au Canada, chacun, y compris l’artiste, a droit à la liberté d’expression et d’association, en particulier en ce qui concerne les questions d’intérêt public et lors des débats qui les entourent.

Chaque Canadien ou résident canadien, quels que soient son âge, ses spécificités culturelles ou ses origines, a le droit de connaître et d’enrichir sa mémoire et ses collections artistiques ainsi que son patrimoine matériel et bâti, lesquels définissent ensemble nos histoires et expériences et nos traditions individuelles et collectives.

[Traduction]

La déclaration dit aussi ceci :

Au Canada, chacun, quelles que soient ses spécificités culturelles ou ses origines, a le droit de prendre part à l’art en assistant ou en accédant à des manifestations artistiques, qu’il s’agisse de musique, de littérature, d’arts dramatiques, d’arts visuels, de cinéma, de danse, de théâtre ou d’arts de la scène.

Et ceci :

Au Canada, chacun, quel que soit son âge, y compris l’enfant ou l’adolescent, a le droit d’exercer sa créativité artistique et de s’adonner aux arts d’expression, y compris le droit à l’apprentissage et à l’acquisition des connaissances, démarches créatrices et aptitudes requises pour la pratique d’un instrument de musique, le dessin, la danse, la composition, l’écriture ou le design ou pour se consacrer à l’innovation créatrice par d’autres moyens.

(1540)

Honorables sénateurs, accorder de la valeur au talent créateur, c’est accorder de la valeur à tous les Canadiens — à leurs voix, à leur bien-être, à leurs sentiments d’identité et d’appartenance — tout en stimulant l’économie et en améliorant notre réputation et favorisant la bonne entente sur la scène internationale. Je me suis entretenue avec des gens de tout âge, des étudiants du secondaire à des nonagénaires. Un jeune participant à un groupe de discussion a fait remarquer : « Le rôle de l’artiste en tant que raconteur d’histoires est essentiel à l’humanité et à la société. »

Toutefois, les jeunes participants ont aussi parlé de découragement, de stress et de la peur liés aux aspects financiers d’une carrière artistique naissante. Je sais qu’ils modifieront et bonifieront le système, mais ils ont besoin d’aide alors qu’ils trouvent de nouvelles façons de créer et de captiver leur public. Il faut encourager ceux qui ne sont peut-être pas des étoiles du monde artistique, mais qui ont beaucoup à dire et à donner.

En conclusion, je vais citer des opinions qui ont été exprimées à plus d’une reprise au cours de nos séances. Un participant a dit : « C’est ambitieux et c’est historique. Ce sera déterminant. » Un autre a déclaré :

La nature multidimensionnelle des arts et les nombreuses diversités et Premières Nations qu’elle touche ont leurs propres tensions et complexités. Il est important, et il est temps, d’aborder l’étendue des problèmes que cela implique pour les artistes, les travailleurs du secteur des arts et les publics.

Enfin, un autre a fait valoir ceci : « C’est une forme de démocratie culturelle qui reconnaît l’histoire et la tradition, aujourd’hui et dans l’avenir. »

Honorables sénateurs, les artistes sont considérés à juste titre comme des leaders d’opinion. Ils sont visionnaires et honnêtes dans leur travail.

[Français]

Les arts incarnent des liens essentiels à la fois avec la Commission de vérité et réconciliation et avec l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Ces dernières ont été primordiales dans nos discussions. On a dit que la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada est un fondement visant à honorer la créativité communautaire, à reconnaître les langues autochtones comme un noyau de la culture autochtone et à favoriser la compréhension et la protection contre l’appropriation des images culturelles.

[Traduction]

Elle concerne aussi les droits des futures générations. Comme il l’a fait encore le mois dernier, voici ce qu’affirme depuis de nombreuses années Richard Hunt, un artiste kwakwaka’wakw :

Quand je crée une chose, je réclame les droits qui y sont associés pour moi-même et, en même temps, pour nos enfants et pour tous les Kwakwaka’wakw. Ils en sont les vrais propriétaires.

Comme le musicien et écrivain Tom Jackson l’a si bien dit durant nos séances :

L’art n’accorde pas de pouvoir, mais il proclame simultanément la vérité, l’histoire, la mémoire et la vision du futur. C’est une réalité et parfois une tension entre ce qui existe et ce qui devrait exister.

Il ajoute : « L’art sauve des vies. » Comme c’est bien dit. Il souligne que l’art englobe la compassion, l’empathie et l’espoir, en plus « de nous parler et de nous transporter grâce à ses outils de changement ». Pourquoi? Il répond : « Les gens doivent comprendre les émotions — celles du cœur, pas seulement celles de l’argent. » J’en conviens de tout cœur.

Les dix arguments de la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada jettent la base de la reconnaissance culturelle dans les politiques sociales, développementales, d’innovation et internationales du Canada. Donnant accès à la fois au passé et au présent, cette déclaration contribuera à la création d’un avenir brillant, en plus de constituer un élément important de réconciliation en luttant contre le racisme et contre de nombreux enjeux cruciaux de la société. Comme je l’ai déjà écrit dans d’autres contextes, la voix des artistes soulève des préoccupations sociales vitales. Nous devons écouter ces voix dans toute la splendeur de leurs moyens de création. Elles nous disent de manière si émouvante qui nous sommes, ce que nous devons chérir, et ce contre quoi nous devons lutter en tant que société.

Honorables sénateurs, comme vous le savez je crois que tout le monde va mieux quand tout le monde va mieux. Ce principe permet d’améliorer bien des situations et d’améliorer le sort des collectivités et des créateurs canadiens. Je vous demande d’appuyer la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada. Merci.

L’honorable René Cormier : Sénatrice Bovey, je vous remercie grandement de votre engagement dans les arts et la culture et de tout le travail que vous faites. Je pense que le projet de loi est fort intéressant. Il est très vaste et vise de nombreux objectifs, ce qui me plaît. Je constate que le ministre devra consulter beaucoup d’intervenants, de ministères et de provinces. Je suis toujours un peu nerveux quand il y a beaucoup de parties concernées parce que notre habitude de travailler en vase clos est l’une des principales lacunes de notre politique culturelle. C’est toujours une bonne idée de consulter, mais ce n’est pas toujours suffisant. Je me demande si vous pourriez nous dire quel mécanisme pourrait être mis en place pour permettre au ministre de mener de véritables consultations auprès de nos partenaires et de collaborer efficacement avec eux.

La sénatrice Bovey : Quelle bonne observation! C’est tout à fait vrai. En effet, cela représente un défi. Sénateur Cormier, à mon avis, que vous et d’autres partagez sûrement, il n’y a pas une seule sphère de la société qui ne soit pas touchée par les artistes et les arts.

Il y a quelques années, j’ai créé une pieuvre dont les huit tentacules représentaient les huit principaux domaines d’intervention de toute administration publique, quel que soit l’ordre de gouvernement. Il y avait la prévention de la criminalité, l’économie, l’emploi, la santé, l’éducation, le tourisme et ainsi de suite jusqu’à huit. Pendant plus de 20 ans, j’ai étudié les données anecdotiques et empiriques de chacun de ces domaines. Selon moi, l’intervention dans chacun de ces domaines doit inclure les arts. Dans certains cas, les arts régleront les problèmes. Dans d’autres, ils soulèveront des questions. Le défi pour nous, les parlementaires, consiste à collaborer sans égard au secteur, à la discipline ou aux lignes de parti politique — si nous sommes membres d’un parti — et à tenir ce dialogue pour déterminer ce que cela signifie. La liste des ministères énonce essentiellement d’où peut provenir une partie de l’aide nécessaire.

Je peux vous assurer que bon nombre des quelque 600 personnes avec qui je me suis entretenue collaborent avec leurs représentants politiques de tous les ordres de gouvernement pour intervenir dans ces domaines. Certains d’entre vous savent que je parle de ceci depuis des années. J’entends continuer à le faire.

Le sénateur Cormier : Sénatrice Bovey, pourriez-vous nous dire quels liens existent, selon vous, entre la déclaration dont nous parlons, qui est une excellente idée, et la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, que vous avez citée, je crois. Quels liens voyez-vous entre ces deux outils?

La sénatrice Bovey : C’est une autre bonne question. Je vous remercie. J’ai la conviction que les artistes et les créateurs utilisent essentiellement les mêmes outils, peu importe la diversité de leurs origines. Les musiciens travaillent avec des instruments et de la musique. Les auteurs se servent de mots, qu’ils écrivent des poèmes ou des romans. Les artistes visuels utilisent de la peinture, des dessins ou autre chose. Que nous soyons autochtones ou non, quelles que soient la ou les cultures au sein desquelles nous avons grandi, les outils de base sont fondamentalement les mêmes.

Nous avons laissé des catégories s’installer, et je souhaite nous débarrasser de ces catégories. C’est pourquoi je remets en question la notion d’excellence telle qu’elle est appliquée à l’octroi de subventions destinées aux artistes. Qui définit l’excellence? Que signifie ce terme? Je crois que dans le monde de l’art autochtone, qu’il s’agisse d’art visuel, de musique, de théâtre ou d’autre chose, le terme « excellence » prend un sens très différent de celui que lui donnent les gens qui, comme moi, sont d’origine caucasienne. Je crois qu’il faut commencer à élargir notre vision, et les artistes me mettent au défi de le faire.

Les séances ont été fructueuses, remplies de bonne humeur et exigeantes. Mon personnel et moi-même avons été confrontés, à juste titre, à des idées qui nous bousculaient. Je présente maintenant le résultat de ces remises en question. La vision proposée est possible si on garde l’esprit ouvert. Nous avons deux oreilles et deux yeux, non?

(1550)

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Mégie, appuyée par l’honorable sénateur Loffreda, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-209, Loi instituant le Jour commémoratif de la pandémie.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

[Français]

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Mégie, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

Projet de loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, appuyée par l’honorable sénateur Cormier, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je vais conclure rapidement. Il y a 24 heures, je vous ai parlé de ce projet de loi et je vous rappelle son nom. Il s’agit de la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement. En deux mots, on veut obliger les grandes compagnies dont le siège social se situe au Canada à faire rapport, une fois par an, sur les risques liés au travail forcé et au travail des enfants dans leur chaîne d’approvisionnement, et ce, pour tenter, à terme, de diminuer ces risques, d’assurer une plus grande transparence et de donner davantage d’outils aux consommateurs pour faire leurs choix.

J’en étais à la conclusion. Pour conclure, je dirais que le projet de loi S-211 vise à faire une contribution modeste à un objectif plus vaste et s’inscrivant à plus long terme, soit l’alignement de nos activités commerciales et économiques sur les impératifs de la durabilité sociale et environnementale.

Le Canada a pris de nombreux engagements sur la scène internationale, mais nous ne les avons pas encore traduits dans notre législation nationale. Je le répète : nous sommes en retard.

Le Canada est une société riche, libre, moderne et elle respecte en principe la défense des droits de la personne. Si nous sommes incapables d’agir avec force pour limiter les pratiques d’esclavage moderne dans nos chaînes d’approvisionnement, nous risquons de perdre la stature morale que nous chérissons et de passer pour des hypocrites. Ce n’est pas ce que je souhaite.

Ce n’est pas non plus ce que souhaitent certaines de nos plus grandes entreprises. Je pense notamment à Canadian Tire, une entreprise qui a implanté des mécanismes très robustes de vérification de ses fournisseurs étrangers depuis quelques années.

D’autres entreprises donnent l’exemple, comme la compagnie canadienne de vêtements de sport Lululemon, mais aussi Adidas, Gap inc. et d’autres, selon un classement publié par KnowTheChain.

À l’heure actuelle, des entreprises responsables comme Canadian Tire et Lululemon sont désavantagées par rapport à des concurrents sans scrupules, qui peuvent parfois payer moins cher pour des produits fabriqués dans des conditions inhumaines. En mettant ces pratiques en lumière et en les décourageant le plus possible, le projet de loi S-211 favoriserait une concurrence plus honnête, qui ne se joue pas sur le dos d’esclaves. Nous cesserions ainsi de pénaliser, par notre inaction, les nombreuses entreprises qui veulent bien faire.

Ce faisant, le Canada rattraperait aussi son retard par rapport à ses pairs et profiterait d’une occasion d’agir conformément à ses valeurs.

Chers collègues, je vous soumets donc humblement que le projet de loi S-211 mérite d’être étudié en comité. Évidemment, je suis prête à répondre à vos questions, si vous arrivez à vous souvenir de tout le discours que j’ai livré il y a 24 heures.

[Traduction]

L’honorable Ratna Omidvar : Merci, sénatrice Miville-Dechêne. Vous avez milité efficacement contre le travail des enfants, et je vous remercie d’avoir fait la distinction entre le travail des enfants et le travail forcé dans le projet de loi. Ce sont deux problèmes odieux, mais ils sont différents. Ma question porte sur le travail des enfants.

Lorsque nous comprimons la chaîne d’approvisionnement afin que les consommateurs décident d’acheter des produits éthiques, cela a pour effet de priver des enfants dans d’autres pays de leur seul moyen de survie, qui consiste à travailler dans ces usines. Lorsque ces emplois sont supprimés, je sais qu’ils se tournent vers la drogue, le crime et la prostitution. Il se peut même qu’ils se tournent vers la vente de leurs organes sur le marché libre. Je le sais, car je l’ai vu.

Lorsque le projet de loi sera renvoyé au comité, serait-il possible d’envisager de compléter cette mesure par d’autres mesures d’aide au développement afin que les enfants puissent bénéficier d’une éducation et de soins santé garantis lorsqu’ils ne seront plus en mesure de travailler?

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Il s’agit d’une très bonne question, sénatrice Omidvar. Évidemment, comme je l’ai dit plusieurs fois, ce projet de loi n’est qu’une première étape. Il est totalement vrai qu’un enfant qui travaille dans une usine ou dans une manufacture quelque part dans les pays moins favorisés peut nourrir toute une famille.

Deuxièmement, il existe ce qu’on appelle des « mesures de remédiation », et c’est peut-être un aspect dont nous pourrions discuter au comité ou un élément auquel nous pourrions réfléchir. Il s’agit de mesures qui obligent les entreprises, une fois que le problème est découvert, une fois que l’on constate qu’un enfant y travaille, à ne pas simplement renvoyer l’enfant en disant qu’on ne veut plus de lui. Il y a des programmes de bourses qui sont accordées à l’enfant pour que ce dernier puisse retourner à l’école à temps plein, tout en gagnant un petit revenu pour la famille, ce qui lui permet de continuer.

Il existe toutes sortes de mesures de remédiation, et il est clair que la clé se trouve là. Quand on commence à faire ces enquêtes, l’idée n’est pas non plus d’exclure immédiatement de notre chaîne d’approvisionnement des entreprises où l’on détecte des problèmes, mais de leur donner une chance de s’améliorer. On sait que le fait de mettre de côté une entreprise ou de l’enlever de la chaîne peut aussi supprimer des milliers d’emplois pour des adultes et des enfants. Oui, effectivement, les entreprises doivent en faire plus. Il y a aussi un filet de sécurité qu’on doit assurer autour de ces entreprises. Évidemment, les OBNL peuvent aider, mais la solution au travail forcé et au travail des enfants, c’est évidemment d’accorder davantage d’aide internationale de la part de pays riches comme le Canada. Il faut viser un objectif, celui de l’éducation, car c’est l’éducation qui peut changer des vies à moyen terme. Cette mesure isolée ne peut qu’entamer une conversation dans les entreprises. Je n’ai pas la prétention de régler cet énorme problème qu’est le travail des enfants. En effet, on parle de 150 millions d’enfants qui travaillent et de 73 millions d’enfants qui travaillent dans des conditions dangereuses et difficiles. Ce ne sont pas tous les enfants qui travaillent dans des conditions de travail forcé, comme ceux qui travaillent dans les mines, mais on parle tout de même d’un grand nombre d’êtres humains.

[Traduction]

L’honorable Robert Black : Sénatrice Miville-Dechêne, je pense aux nombreuses familles d’agriculteurs du pays qui embauchent de jeunes membres de la famille et d’autres personnes pour certaines activités, par exemple pour ramasser des roches et des branches ou pour être au sommet d’un élévateur de balles quand la chaleur bat des records dans les granges, des activités que je voyais parfois comme une punition cruelle et inhumaine quand j’étais jeune. Votre projet de loi propose un âge minimal pour travailler. Aura-t-il des répercussions négatives sur les activités agricoles et les familles d’agriculteurs du Canada?

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur le sénateur, je réponds par un non catégorique à la question précise que vous posez.

Un travail ardu n’est pas la même chose qu’un esclavage moderne ou un travail forcé. Quelqu’un peut travailler dur sans qu’il s’agisse d’esclavage moderne. Quant à la définition de « travail forcé », elle suppose des contraintes. Il peut s’agir, par exemple, d’une servitude pour dettes ou du fait qu’on a confisqué au travailleur ses pièces d’identité. Il y a aussi une part d’exploitation, de toute évidence. La définition est différente de celle de « dur labeur », et ce type de travail est accompli sur les chantiers de construction et à de nombreux endroits au Canada.

(1600)

Les sénateurs savent que le travail des enfants au Canada relève des provinces et que celles-ci appliquent des règles différentes à cet égard. En général, une personne qui n’a pas encore 18 ans fait l’objet de restrictions. Elle peut travailler avant l’âge de 18 ans à condition qu’elle aille à l’école et que son travail ne nuise pas à son éducation. Au Canada, des lois s’appliquent déjà aux enfants, et elles ne seront pas touchées par le projet de loi.

Maintenant, pour répondre à votre question, non, je ne crois pas que les fermes familiales seront touchées. Si vous examinez le projet de loi, vous constaterez qu’il vise les grandes entreprises. Je vais lire la définition de ce dont il est question pour que vous constatiez qu’il n’est pas question des fermes familiales ordinaires.

Les entités couvertes possèdent des actifs d’une valeur d’au moins 20 millions de dollars, ont généré des revenus d’au moins 40 millions de dollars ou emploient en moyenne au moins 250 employés. Il ne s’agit pas d’une ferme familiale. Toutefois, il pourrait s’agir d’une entreprise agricole qui, par exemple, importe et transforme des tomates. Une entreprise suffisamment grande pourrait être touchée, mais pas une ferme familiale.

Le sénateur Black : Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Ataullahjan, le débat est ajourné.)

La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je vous parle aujourd’hui depuis le territoire traditionnel non cédé des Mississaugas. J’ai l’intention d’appuyer le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement. Je remercie la sénatrice Pate de l’avoir présenté à nouveau.

À l’heure actuelle, le processus de demande d’expiration du casier judiciaire est prohibitif. Pour beaucoup de détenus qui ont purgé leur peine, la réintégration dans la société est déjà suffisamment difficile. Ceux qui ne peuvent participer à ce processus sont donc pénalisés le reste de leur vie. Le processus d’expiration du casier judiciaire n’est clairement pas une question de justice. C’est un processus désuet qui ne bénéficie à personne. Il nuit à ceux qui tentent de remettre de l’ordre dans leur vie pendant une période de transition très éprouvante.

Le processus par lequel les gens doivent demander l’expiration de leur casier judiciaire est injuste car il est inaccessible et inutile. Accessibilité rime avec égalité; c’est faire en sorte que les personnes confrontées à des barrières structurelles comme le racisme, la pauvreté et le capacitisme puissent être incluses. Contrairement à la croyance populaire, les personnes qui sortent de prison sont souvent vulnérables. Cela inclut, sans toutefois s’y limiter, les Noirs, les Autochtones et les personnes souffrant de maladie mentale et de toxicomanie.

Le premier défi en matière d’accessibilité est la disponibilité des ressources nécessaires pour soumettre une demande. Il faut investir du temps et des ressources, dont des frais exorbitants de 657,77 $. Ces frais ont augmenté de 481 $ en 2012 et, selon des données provenant de 2017-2018, 40 % moins de personnes ont soumis une demande.

La chute du nombre de demandes prouve que les frais exigés constituent un obstacle important, puisque la majorité des anciens prisonniers n’arrivent pas à décrocher un bon emploi avec leur casier judiciaire.

Les Noirs et les femmes sont deux groupes parmi les segments de la population qui ont le plus de difficulté à se trouver un bon emploi avec un casier judiciaire. La combinaison des taux de chômage et d’un montant si élevé de frais associés au processus n’est pas raisonnable. L’accès à ce processus ne doit pas être un privilège réservé aux mieux nantis.

Selon mes recherches, l’autre obstacle à l’accessibilité est la compréhension du processus. Un grand nombre de gens ne comprennent pas comment présenter une demande d’expiration du casier judiciaire. En plus de bien comprendre le processus, ces personnes doivent prendre conscience des conséquences qu’elles pourraient subir pour le reste de leur vie si elles ne font rien pour changer l’état de leur casier judiciaire.

Beaucoup de personnes ne savent probablement pas quel est l’impact d’un casier judiciaire en suspens. Par exemple, cela peut accroître les difficultés pour trouver un emploi, se loger ou voyager. Un casier judiciaire en suspens peut avoir une grave incidence sur les décisions relatives à la garde des enfants et l’accessibilité à de l’aide financière ou à du crédit.

Comme autre obstacle à l’accessibilité, on retrouve la littératie. Combien d’entre vous connaissez l’énorme défi que représente un formulaire à remplir où apparaissent quantité de termes juridiques incompréhensibles, au point d’en être si frustrés que vous baissez les bras? Beaucoup de personnes n’ont ni les capacités de lecture et d’écriture requises pour arriver à aller jusqu’au bout de ce processus ni la confiance ou l’habileté de demander de l’aide pour faire leur demande d’expiration. La solution est simple. L’expiration du dossier criminel devrait se faire de façon automatique et gratuitement.

Honorables sénateurs, il y a quelque temps, je me suis retrouvée à une station de police pour signaler un crime dont j’avais été victime. L’agent m’a montré une série de photos signalétiques qui correspondaient à la description générale du suspect recherché. Tandis que j’examinais les photos de la série, j’ai reconnu celle d’un jeune homme noir, non pas la personne que j’étais censée identifier, mais le fils d’un de mes bons amis. Je connaissais son histoire. Je me suis souvenu que, lorsqu’il était un jeune homme, à peine passé l’âge de la majorité, il avait été mis en accusation en tant qu’adulte pour un crime qu’il avait commis. Il avait purgé sa peine et tourné la page. Depuis, il a réussi des études postsecondaires et occupe un bon emploi dans le domaine qu’il a choisi.

Malgré le fait qu’il soit passé à un autre chapitre de sa vie, une photo de son visage est toujours activement utilisée dans des séances d’identification, ce qui veut dire qu’à n’importe quel moment, il pourrait être rappelé en tant que suspect d’un crime dans l’avenir.

Vous pouvez imaginer ma consternation lorsque j’ai vu son visage alors qu’on me demandait d’identifier une personne à la suite d’un crime auquel il n’avait rien à avoir. Pourquoi montrerait-on son visage parmi des suspects possibles d’un crime futur, alors qu’en fait, une personne qui a été déclarée coupable par le passé n’est pas plus susceptible de commettre un crime, après une certaine période, qu’une personne qui ne l’a jamais été?

J’ai décidé d’informer sa mère de ce que j’avais vu afin qu’elle puisse en aviser son fils. Il a pu présenter une demande pour que son casier soit supprimé et que sa photo ne soit donc plus utilisée lors des séances d’identification.

Je pense à cet homme et à ce qui aurait pu arriver s’il n’avait pas présenté de demande pour que son casier soit supprimé. Que se serait-il passé plus tard si, à la suite d’un crime, une autre personne avait regardé la même photo signalétique et avait cru le reconnaître par erreur, malgré son innocence? Que se serait-il passé si ce témoin avait été son employeur, un collègue ou un client? Quelles auraient été les conséquences pour sa carrière et sa réputation? Que se serait-il passé si on l’avait arrêté pour un contrôle routier? En tant qu’homme noir, il est déjà vulnérable au profilage racial.

Selon le rapport Wortley sur les contrôles de routine à Halifax, les hommes noirs à Halifax sont 9,2 fois plus susceptibles d’être arrêtés pour un contrôle de routine que le reste de la population.

Que serait-il arrivé si le policier avait vu l’homme dont j’ai parlé, s’il l’avait reconnu à cause de sa photo signalétique, et si cela l’avait convaincu que cet homme était mal intentionné? Ces situations sont peut-être hypothétiques, mais malheureusement, elles arrivent trop fréquemment à des hommes noirs.

(1610)

Il est injuste qu’il puisse continuer à être puni pour le reste de sa vie. Il est possible d’éviter carrément des situations comme celles-ci, qui entraînent de la discrimination envers d’anciens prisonniers, en rendant automatique l’expiration du casier judiciaire pour certaines accusations.

Honorables sénateurs, le processus d’expiration du casier judiciaire ne sert à rien d’autre qu’à continuer de punir des personnes vulnérables pour un crime qu’elles ont déjà expié. La modification de la Loi sur le casier judiciaire est le strict minimum pour assurer un traitement équitable aux Canadiens autochtones, noirs et racialisés vulnérables, que le processus actuel d’expiration du casier judiciaire empêche injustement d’aller de l’avant.

J’appuierai ce projet de loi et j’espère que mes collègues comprendront à quel point ce changement pourrait s’avérer bénéfique pour tant de personnes qui travaillent d’arrache-pied pour remettre leur vie sur les rails.

Asante. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Oui, certainement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce qui est un peu discutable, c’est que vous prenez des cas d’exception et que vous faites des généralités pour les appliquer à tous les criminels. Prenons l’exemple d’un individu qui sort de prison parce qu’il a été condamné pour avoir vendu de la drogue à des enfants — et on connaît les conséquences — et qui demande à l’État d’effacer son dossier criminel. Qui est responsable de payer pour effacer son dossier? Un honnête citoyen ou le criminel lui-même?

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Il est vrai que pour certaines accusations, la suspension automatique du casier judiciaire ne constituerait pas la meilleure marche à suivre. Ce projet de loi propose de créer des conditions favorables à ceux pour qui il s’agit de la meilleure marche à suivre.

Beaucoup de personnes vulnérables ont des démêlés avec la justice. Elles purgent leur peine et elles ont le droit de remettre leur vie sur les rails par la suite afin de réintégrer la société sans obstacle. À mon avis, il nous incombe d’éliminer les obstacles pour permettre à ces personnes de se réadapter et de réintégrer la société.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une autre question?

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous avez encore quatre minutes et demie. Accepteriez-vous de répondre à une autre question du sénateur Boisvenu?

La sénatrice Bernard : Oui.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans notre société, le principe de la réhabilitation repose sur la responsabilisation. Quand l’État prend en charge toutes les dépenses des citoyens, on déresponsabilise les citoyens. Si un individu commet une infraction au Code de la sécurité routière, comme la conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles à une autre personne, le système de justice va lui imposer l’installation d’un démarreur électrique qui coûtera environ 800 $. Le système fait en sorte que c’est l’individu qui a commis l’infraction qui doit payer pour son antidémarreur. Lorsqu’on efface un dossier criminel, pourquoi impose-t-on à la société de payer des frais qui devraient être à la charge du criminel?

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Lorsqu’une personne a commis une infraction, a été reconnue coupable et a reçu une peine en conséquence, elle a été punie et a payé pour la faute commise. Pourquoi devrait-on continuer de la punir en l’empêchant d’avoir accès aux possibilités lui permettant de refaire sa vie et de réintégrer la société?

Pour certaines personnes, il pourrait ne pas s’agir d’une réintégration, mais plutôt d’une intégration dans une société qui les avait déjà placées dans la marge, d’une façon ou d’une autre.

(Sur la motion du sénateur Woo, au nom de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la Journée internationale de la langue maternelle

Deuxième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer propose que le projet de loi S-214, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-214, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle. Cette journée n’est pas une fête légale ni un jour non ouvrable.

[Français]

Honorables sénateurs, je tiens d’abord à dire que ce projet de loi est important, et pas uniquement pour les personnes qui parlent plusieurs langues.

[Traduction]

C’est un outil important pour renforcer les valeurs fondamentales du Canada que sont l’inclusion, l’ouverture, l’équité et le respect de tous et de toutes les identités. Je crois fermement en ces valeurs. C’est pourquoi le projet de loi sur les langues maternelles me tient très à cœur. Il désignerait par voie législative le 21 février comme la Journée internationale de la langue maternelle dans l’ensemble des provinces et des territoires du Canada, comme l’ont déjà fait les Nations unies et beaucoup d’autres pays partout dans le monde.

[Français]

Célébrer une langue maternelle me tient grandement à cœur. Toute ma vie, les langues ont été au centre de ma propre identité et de l’identité collective de ma famille au Canada.

[Traduction]

Petite fille, on m’a appris à être fière de ma langue maternelle, le kutchi. Cela faisait partie de moi et je parlais le kutchi.

Aujourd’hui, en tant que femme ismaélienne d’origines africaines et sud-asiatiques née en Ouganda, qui a étudié en Angleterre et au Canada et qui s’est établie à Vancouver, l’emploi du kutchi fait encore partie de ma réalité et de mon identité de Canadienne. En tant que mère et grand-mère, je continue la lutte de la reconnaissance de toutes les langues maternelles.

[Français]

Je me bats plus particulièrement pour tous les jeunes qui sont passionnés par leur langue maternelle et qui en sont fiers.

[Traduction]

Je me bats pour que tous les jeunes, y compris mes petits-enfants et mes arrières-petits-enfants à naître, sachent que leur langue maternelle est à la base de leur identité. Mon fils a appris notre langue et a trouvé de nombreux emplois parce qu’il parle kutchi.

Au fil de mes rencontres avec les jeunes Canadiens, je trouve le courage de poursuivre mon combat pour la reconnaissance, l’appréciation et la célébration de toutes les langues maternelles parlées au Canada.

Chaque jour, mon petit-fils Ayaan m’inspire et me rappelle de poursuivre mon combat. J’aimerais vous communiquer ce qu’il a présenté au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au sujet de l’importance du précédent projet de loi présenté à ce sujet et de l’actuel projet de loi. Je le cite :

Je m’appelle Ayaan Jeraj et je suis en 9e année à l’école Prince of Wales de Vancouver, en Colombie-Britannique.

Ce projet de loi est très important pour moi, car mes parents et mes grands-parents nous incitent ma sœur et moi à utiliser notre langue maternelle.

[...] je ressens la force de mes liens avec ma famille, mes amis et mon pays quand je peux parler kutchi. Le projet de loi permettra à toutes les personnes au Canada, de tout âge, de parler dans leur langue maternelle.

Ma sœur et moi parlons tous les deux anglais et français, et nous voulons aussi nous assurer de pouvoir parler en kutchi.

(1620)

Sénateurs, en reconnaissant officiellement le 21 février comme « Journée internationale de la langue maternelle », nous apprendrons à mieux nous connaître et à connaître les divers points de vue des Canadiens. Il s’agit là de notre identité.

J’ai entendu une autre histoire émouvante de la part d’une jeune personne. Elle se nomme Anushua Nag et, comme beaucoup d’entre vous le savent, elle travaille pour le sénateur Dalphond. Quand elle a entendu parler de ce projet de loi, elle a communiqué avec moi pour me dire pourquoi il était si important pour elle de parler sa langue maternelle et combien ce projet de loi comptait pour elle.

Je suis une enfant d’immigrants du Bangladesh, et je suis moi-même une immigrante bangladaise, mais ma langue maternelle n’est pas le bengali. En fait, la première langue que j’ai apprise à parler est le sylheti.

Il n’a pas fallu longtemps avant que je perde la capacité de communiquer correctement en bengali, mais le sylheti demeure pour moi le principal moyen de communication qui me permet d’entretenir un lien avec mes parents, qui me sont très chers.

Il m’est difficile de limiter mon identité à une seule langue, même lorsqu’on me demande sur un formulaire de confirmer ma langue « préférée ». Avec mon conjoint à la maison, je parle anglais. Avec mon frère, je parle français. Et surtout, avec mes parents, je parle le sylheti. Je m’identifie à ces trois langues, chacune pour des raisons très différentes.

Les propos d’Anushua devraient nous rappeler que notre langue maternelle fait partie de notre identité.

[Français]

Malheureusement, nous continuons de voir la souffrance vécue au Canada et dans le monde en raison des répercussions de la pandémie à laquelle nous sommes tous confrontés. Malgré nos différences, j’estime qu’il est primordial que nous continuions à nous aimer et à nous comprendre mutuellement.

[Traduction]

En tant que femme qui a dû fuir son pays pour venir au Canada, je me réveille chaque jour en étant fière de faire partie de ce grand pays. Pourtant, je sais que cette gratitude ne peut éclipser la conscience que j’ai des problèmes que les personnes racialisées, et en particulier les Autochtones, subissent au quotidien.

Pendant la pandémie, nous avons assisté à un éveil des voix, des idées et des points de vue autochtones dans notre société collective canadienne. Récemment, les manifestations et marches pour la justice qui ont eu lieu partout au pays nous ont rappelé pourquoi il était si important que tous les Autochtones soient acceptés lorsqu’ils parlent leur langue maternelle avec leurs amis, avec leur famille élargie, avec leurs communautés et surtout lorsqu’ils disent la vérité à ceux qui sont au pouvoir.

À juste titre, nous ne vivrons plus jamais de la même façon la plupart de nos célébrations traditionnelles au Canada. Nous devons composer avec notre passé, afin de pouvoir tracer un meilleur chemin pour le présent et pour l’avenir.

Ce périple est en grande partie composé de petits pas qui symbolisent la vérité et la réconciliation. Je pense que ce projet de loi est un pas à la fois modeste et important dans notre périple.

À l’heure actuelle, aucune loi ne protège ou ne promeut explicitement les langues autochtones, en dehors des langues officielles que sont l’anglais et le français. Sans projet de loi pour reconnaître et célébrer explicitement les langues maternelles qui sont le berceau de toutes nos cultures et de notre patrimoine, il n’y a pas de réelle protection des langues traditionnelles.

À l’heure où je vous parle, on parle au Canada plus de 60, voire non moins de 70 langues autochtones uniques. Tragiquement, de nombreuses autres sont disparues. Chaque fois qu’une langue disparaît, une partie de notre identité canadienne disparaît avec elle. Malgré les efforts louables déployés par le gouvernement au moyen du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, de toutes les langues autochtones relevées, seulement quatre sont considérées comme étant à l’abri de la disparition.

C’est dans ma province, la Colombie-Britannique, que sont parlées plus de la moitié des langues autochtones au Canada. Malheureusement, seul 1 Autochtone sur 20 dans cette province parle couramment sa langue, et la plupart de ces Autochtones sont des aînés. Bon nombre des langues autochtones remontent à des milliers d’années, mais elles pourraient être sur le point de disparaître. Nous, les Canadiens, n’avons pris aucune mesure jusqu’à présent pour remédier à cette situation.

Alors que nous poursuivons nos démarches sur le chemin de la réconciliation au Canada, un projet de loi sur la langue maternelle constitue un moyen tangible pour le gouvernement fédéral d’honorer sa promesse de longue date de forger une relation solide de nation à nation avec les Autochtones, notamment les Premières Nations, les Inuits, les Métis et les Indiens non inscrits.

En se dotant d’un projet de loi sur la langue maternelle, le Canada reconnaîtrait ouvertement les contributions de l’ensemble des langues autochtones parlées au pays et dans les territoires ancestraux ainsi que le rôle que chacune joue en permettant aux Autochtones de s’exprimer librement dans la langue qui leur a été donnée à la naissance.

[Français]

Honorables sénateurs, au cours de la dernière année et demie, j’ai véritablement ressenti la force des liens qui m’unissent à ma famille, à mes amis et à mon pays lorsque je leur ai parlé dans ma langue maternelle.

[Traduction]

C’est pourquoi je suis d’avis que la Journée internationale de la langue maternelle est plus qu’un projet de loi. C’est une journée pour célébrer la liberté de communiquer dans sa langue maternelle. C’est notre identité. Les langues nous permettent de bâtir des relations nouvelles et uniques et favorisent l’échange d’histoires inédites et de contes de spiritualité, de compassion et d’humanité.

En particulier, alors que nous commençons à voir la lumière au bout du tunnel douloureux de la pandémie, il est vraiment réconfortant de pouvoir parler dans ma langue maternelle sur Zoom tous les samedis matin à ma famille élargie partout dans le monde. Ces conversations sont d’une très grande importance pour moi, et mon vœu le plus cher est de voir chaque Canadien se sentir libre non seulement de parler sa langue maternelle, mais aussi d’en être fier.

[Français]

C’est pourquoi je reviens à la charge aujourd’hui. Je veux que vous sachiez tous que je vais persévérer jusqu’à ce que ce projet de loi soit adopté.

[Traduction]

Honorables sénateurs, j’ai un très long discours que je fais depuis cinq ans. Cependant, comme vous pouvez le voir, mon discours d’aujourd’hui est beaucoup plus court. Je m’en voudrais toutefois de ne pas saluer ma collègue la sénatrice Salma Ataullahjan. Sénatrice Ataullahjan, nous allons toutes les deux faire le même discours pour la cinquième fois.

J’espère que cette fois, honorables sénateurs, vous appuierez le projet de loi. Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, je suivrai l’exemple de la sénatrice Mobina Jaffer : je crois que mon discours durera deux minutes et demie.

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi S-214, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle. Le projet de loi S-214 est une mesure législative visant à désigner le 21 février Journée internationale de la langue maternelle. J’aimerais remercier la sénatrice Jaffer d’avoir présenté à nouveau ce projet de loi et de me donner encore une fois l’occasion de parler de l’importance de la diffusion des langues maternelles.

En tant que pays ayant le multiculturalisme comme élément central, nous devons reconnaître et comprendre l’importance de la préservation de toutes les langues maternelles. Le professeur Wade Davis l’a exprimé avec plus d’éloquence que moi quand il a affirmé dans le magazine Canadian Geographic :

Une langue, il va sans dire, n’est pas qu’un simple ensemble de règles grammaticales ou un vocabulaire. C’est un éclair de l’esprit humain, le véhicule par lequel l’âme d’une culture s’arrime au monde matériel. Chaque langue est une forêt ancienne de l’esprit, un bassin versant de la pensée, un écosystème de possibilités sociales, spirituelles et psychologiques. Chaque langue est une fenêtre sur un univers, un monument à la culture qui l’a vue naître et dont elle exprime tout l’esprit.

(1630)

Je connais très bien la corrélation entre ma langue maternelle et mon identité. Pour moi, parler pachtou est plus qu’un moyen de communication : cela me relie à mes ancêtres et me permet de comprendre la littérature, l’art et la poésie de ma patrie.

C’est pour ces raisons que je me suis fixé comme priorité d’enseigner ma langue maternelle à mes deux filles, Anushka et Shaanzeh. Ce faisant, j’ai pu partager avec elles une part de mon identité, de mon histoire et de ma culture. Le fait de pouvoir communiquer dans notre langue maternelle a eu une influence positive sur la vie de mes filles et sur la mienne, ce qui vaut la peine d’être célébré chaque année, le 21 février.

Évidemment, nous ne pouvons pas parler de l’importance de préserver les langues maternelles au Canada sans penser aux populations autochtones, dont beaucoup ont été dépouillées de leur langue maternelle. Honorables sénateurs, on ne peut sous-estimer l’importance des langues maternelles, car nous savons que, lorsqu’une langue meurt, le savoir et le patrimoine qu’elle contient meurent avec elle, dévalorisant à jamais notre société dans son ensemble.

En tant que parlementaires, nous devons encourager les Canadiens à célébrer et à préserver notre diversité linguistique. Le projet de loi S-214 concrétise ces aspirations en sensibilisant la population à l’importance des langues maternelles et en faisant la promotion de leur enseignement.

En conclusion, je demande aux honorables sénateurs de tenir compte des questions posées par le professeur Wade Davis :

Toutefois, qu’en est-il de la poésie, des chansons et du savoir encodés dans les autres voix, ces cultures qui sont les gardiennes et les intendantes de 98,8 % de la diversité linguistique du monde? La sagesse d’un aîné autochtone est-elle moins importante simplement parce que celui-ci la communique à un auditoire composé d’une seule personne?

Sénatrice Jaffer, merci de votre travail infatigable à l’égard de ce projet de loi ou, comme on le dit dans ma langue maternelle, manana. Merci, honorables sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Troisième lecture

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Omidvar, appuyée par l’honorable sénatrice Duncan, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-216, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (utilisation des ressources d’un organisme de bienfaisance enregistré).

L’honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que je m’adresse au Sénat depuis le territoire ancestral et non cédé des Mi’kmaqs.

Je souhaite intervenir brièvement dans le débat d’aujourd’hui sur le projet de loi S-216. J’ai un léger sentiment de déjà-vu, puisque nous avons vu exactement le même projet de loi auparavant. Je suis heureux que la sénatrice Omidvar l’ait présenté de nouveau au Sénat. C’est une mesure très importante qui permettra aux organismes de bienfaisance d’atteindre leurs objectifs pour améliorer leurs collectivités et bâtir un monde meilleur.

Honorables collègues, comme je l’ai dit la dernière fois que nous avons étudié ce projet de loi, le simple fait que nous ayons besoin de ce projet de loi montre à quel point les règles et les règlements que les organismes de bienfaisance doivent suivre sont désuets, complexes et onéreux. Comme on l’a déjà mentionné, le rapport du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance a cerné ce problème et bien d’autres. J’ai toujours de la difficulté à comprendre pourquoi on force encore les organismes de bienfaisance à se plier à des règles aussi désuètes.

Ce projet de loi améliorera considérablement la situation en aidant le secteur de la bienfaisance à offrir ses services autrement.

Le projet de loi S-216 vise à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu :

[...] afin d’autoriser les organismes de bienfaisance à mettre leurs ressources à la disposition d’une personne qui n’est pas un donataire reconnu lorsqu’ils prennent des mesures raisonnables pour s’assurer que les ressources sont utilisées exclusivement à des fins de bienfaisance.

Je crois qu’en plus de préciser les règles encadrant l’utilisation des ressources, le projet de loi protège la reddition de comptes et qu’il accroîtra sûrement notre confiance quant aux façons de procéder que les organismes de bienfaisance pourront adopter grâce aux changements proposés.

Cela dit, vous constaterez, je crois, que ce projet de loi reçoit notre appui et que nous sommes maintenant prêts à nous prononcer.

Merci, honorables sénateurs.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui brièvement à titre de porte-parole pour le projet de loi S-216, qui portait auparavant le numéro S-222. Il s’agit de la Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (utilisation des ressources), qu’on appelle aussi la Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance.

Notre leader, le sénateur Don Plett, était le porte-parole pour ce projet de loi pendant la dernière législature. Il a félicité la sénatrice Omidvar d’avoir fait un excellent travail dans ce dossier et d’avoir présenté cette mesure législative. Maintenant que nous sommes dans une nouvelle session parlementaire, la sénatrice Omidvar a présenté de nouveau son projet de loi d’intérêt public du Sénat, dont elle a déjà expliqué très clairement l’importance. Je ferai donc de brèves observations comme l’a fait le sénateur Mercer, qui présidait le Comité spécial sur le secteur de la bienfaisance, auquel j’ai eu, comme la sénatrice Omidvar, le bonheur de siéger.

Nous avons entendu des témoins et des représentants d’organismes parler des enjeux auxquels sont confrontés les organismes de bienfaisance de partout au pays. Notre étude a mis en lumière bon nombre des défis que connaît ce secteur et des changements qui sont nécessaires.

Le projet de loi S-216 va tout à fait dans ce sens. Il modifiera la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’autoriser les organismes de bienfaisance à mettre leurs ressources à la disposition d’une personne qui n’est pas un donataire reconnu lorsqu’ils prennent des mesures raisonnables pour s’assurer que les ressources sont utilisées exclusivement à des fins de bienfaisance.

Je citerai quelques témoins très crédibles qui ont comparu devant le Comité des finances nationales pendant la dernière législature. Leurs propos résument à merveille les enjeux, comme l’ont fait la sénatrice Omidvar et le sénateur Mercer.

Me Terrance S. Carter, associé directeur au cabinet d’avocats Carters, a déclaré ce qui suit :

[...] les amendements proposés dans le projet de loi S-222 auraient pour effet, premièrement, de soulager les organismes de bienfaisance du Canada d’un fardeau inutile qui leur nuit depuis bien trop longtemps, à cause des dispositions désuètes dans la loi de l’impôt sur le revenu, qui ne reflètent plus la réalité et les normes internationales; et, deuxièmement, de remplacer cela par un régime d’utilisation responsable des ressources qui permettrait aux organismes de bienfaisance de travailler avec des donataires non reconnus, à l’étranger et au Canada, afin de remplir efficacement leur mission caritative.

Bruce MacDonald, président et chef de la direction d’Imagine Canada, a déclaré ce qui suit :

Ce projet de loi est un autre exemple du besoin de faire progresser le cadre réglementaire et législatif dans lequel s’inscrit le bien social. [...] Il s’agit d’une approche logique pour améliorer la capacité des organismes de bienfaisance de conclure des partenariats utiles avec des organisations qui ne sont pas des organismes de bienfaisance, d’une façon qui garantit à la fois la reddition de comptes et la transparence.

En résumé, j’appuie sans retenue le projet de loi de la sénatrice Omidvar et je demande à tous les honorables sénateurs d’approuver l’adoption rapide de ce projet de loi dans notre enceinte de façon à envoyer un message clair à la Chambre des communes et à franchir un pas de plus pour faire entrer dans le XXIe siècle les mesures législatives régissant le secteur de la bienfaisance.

Je dirai pour conclure, comme l’a dit le sénateur Plett, que le projet de loi se fait attendre depuis longtemps. Merci.

(1640)

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Le sénateur Patterson : Bravo!

Des voix : Bravo!

Projet de loi sur la Journée nationale de la jupe à rubans

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice McCallum, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.)

[Français]

La Loi sur les compétences linguistiques

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Claude Carignan propose que le projet de loi S-220, Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (gouverneur général), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-220, intitulé Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (gouverneur général), qui vise uniquement à ajouter à la liste des fonctions énumérées dans la Loi sur les compétences linguistiques le poste de gouverneur général. Ainsi, aux 10 agents du Parlement définis comme devant être obligatoirement bilingues lors de leur nomination s’ajoutera le poste de gouverneur général du Canada.

Ces agents du Parlement occupent des postes de très haut niveau. Ils sont au sommet de nos institutions administratives et sont nommés par la Chambre des communes, ou la Chambre des communes et le Sénat, selon le cas. En fait, il s’agit du vérificateur général du Canada, du directeur général des élections, du commissaire à la vie privée, du commissaire aux langues officielles, du commissaire à l’information, du conseiller sénatorial en éthique, du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, du commissaire au lobbying, du directeur parlementaire du budget, du président de la Commission de la fonction publique et du commissaire à l’intégrité du secteur public.

[Traduction]

Le 6 juillet 2021, le premier ministre du Canada a annoncé la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale du Canada. La nouvelle gouverneure générale parle anglais et inuktitut, mais elle ne parle pas français, soit une des deux langues officielles du Canada. À la suite de sa nomination, le commissaire aux langues officielles a reçu 1 300 plaintes concernant l’inaptitude de la gouverneure générale à s’exprimer en français.

[Français]

La Loi sur les langues officielles exige que les institutions fédérales prennent des mesures positives, concrètes et intentionnelles afin d’assurer le bilinguisme anglais et français au pays. Par ailleurs, le premier ministre, qui n’est pas une institution fédérale assujettie à la loi, possède une prérogative quant à la nomination du gouverneur général et n’est pas contraint par les recommandations émises par le Bureau du Conseil privé, à moins que ce pouvoir ne soit encadré par une loi, comme la Loi sur les compétences linguistiques ou la Loi sur les langues officielles.

Comme ces nombreux Canadiens qui ont porté plainte auprès du commissaire aux langues officielles, j’ai été excessivement surpris et déçu lorsque j’ai appris la nomination au poste de gouverneur général du Canada d’une personne qui ne peut s’exprimer dans les deux langues officielles.

Cette carence linguistique de la nouvelle gouverneure générale ne réduit aucunement le lustre de ses autres compétences professionnelles ni de sa feuille de route tout aussi remarquable.

J’en conviens aisément, Mary Simon est une personne de grande valeur et je ne le remets pas en question par la présente loi.

Toutefois, honorables sénateurs, la méconnaissance de l’une des deux langues officielles dans les fonctions de gouverneur général pose un sérieux problème. On ne parle pas ici d’un poste de second ordre, on parle du chef d’État qui représente notre pays et du commandant en chef de nos armées. Le gouverneur général exerce ces fonctions non seulement au Canada mais également à l’étranger. À ce titre, le gouverneur général remplit plusieurs fonctions.

Le site officiel du gouverneur général établit ainsi ses responsabilités.

[Traduction]

La gouverneure générale exerce les pouvoirs et les responsabilités de la chef de l’État, de Sa Majesté la reine. Par conséquent, la gouverneure générale se doit d’être impartiale et apolitique. En tant que représentante de la reine au Canada, la gouverneure générale a certaines responsabilités, l’une des plus importantes étant de s’assurer que le Canada dispose en tout temps d’un premier ministre et d’un gouvernement en lesquels le Parlement a confiance. Les autres obligations constitutionnelles de la gouverneure générale comprennent l’assermentation du premier ministre, de son Cabinet et du juge en chef du Canada.

[Français]

De plus, elle convoque, proroge et dissout le Parlement, prononce le discours du Trône et accorde la sanction royale aux lois du Parlement.

[Traduction]

Parmi les responsabilités qui lui incombent, elle doit aussi nommer les membres du Conseil privé, les lieutenants-gouverneurs et certains juges sur les conseils du premier ministre, en plus de signer des documents officiels comme les décrets.

[Français]

Vous en conviendrez, chers collègues, ce sont des responsabilités du plus haut niveau. En fait, le gouverneur général est au sommet de notre hiérarchie constitutionnelle.

Dans le cadre de ses fonctions, la gouverneure générale actuelle a participé récemment aux activités suivantes : le 2 décembre, elle a fait la présentation de lettres de créance à des diplomates; le 23 novembre, nous en avons tous été témoins, elle a prononcé le discours du Trône et elle a également tenu une rencontre avec la présidente de la République du Kosovo; le 18 novembre, elle a participé au dévoilement d’un timbre commémoratif; le 11 novembre, elle a participé à la cérémonie nationale du jour du Souvenir; le 8 novembre, elle a honoré des membres des Forces armées canadiennes; le 6 novembre, elle a participé à la cérémonie du prix Sobey pour les arts de 2021; le 1er novembre, elle a nommé 97 membres des Forces armées canadiennes au sein de l’Ordre du mérite militaire; le 8 octobre 2021, elle a visité la Mission d’Ottawa.

(1650)

Ainsi, dans le cadre de ses fonctions, la gouverneure générale est régulièrement appelée à interagir avec des Canadiennes et des Canadiens qui parlent les deux langues officielles du pays. De plus, nous l’avons vu, elle représente également le Canada à l’étranger.

Toujours selon le site officiel du gouverneur général, il est mentionné ceci :

La gouverneure générale joue aussi un rôle de premier plan dans le domaine des relations internationales en effectuant des visites d’État et des visites officielles à l’étranger. Lors des visites d’État, la gouverneure générale est souvent accompagnée d’une délégation d’éminents Canadiens représentant diverses sphères d’activité. Les visites internationales ont pour but de promouvoir le Canada, de resserrer les liens entre les peuples et de renforcer les relations que le pays entretient avec ses partenaires dans le monde.

Quel message une gouverneure générale unilingue anglaise envoie-t-elle à l’étranger? Poser la question, c’est y répondre : le Canada est un pays unilingue anglais.

Pourtant, la richesse de notre pays se fonde sur la vitalité de ses deux langues officielles, le français et l’anglais, les langues de ses deux peuples fondateurs. Nous avons aussi l’avantage d’avoir une diversité culturelle et linguistique, qui inclut les langues autochtones, et qui fait du Canada un endroit unique au monde. Toutefois, lorsque le chef d’État du pays ne parle qu’une des deux langues officielles du pays, cela crée une sorte d’anachronisme, voire une incongruité.

Je vous cite un autre passage du site Web officiel :

À titre de commandante en chef du Canada, la gouverneure générale joue un rôle capital en reconnaissant le rôle important des militaires canadiens, tant au pays qu’à l’étranger. La commandante en chef offre soutien et encouragements aux membres des Forces armées canadiennes ainsi qu’à leurs familles et à leurs proches, en plus d’aider les Canadiens à reconnaître la contribution passée et présente des militaires à notre pays.

Comment la gouverneure générale pourra-t-elle reconnaître le rôle important des militaires francophones et offrir soutien et encouragement à leurs familles et à leurs proches si elle ne peut communiquer avec eux dans leur langue?

Notre pays s’est construit sur la dualité linguistique et, dès la Confédération, cette dualité linguistique a été codifiée, notamment dans le texte fondateur de notre pays, la Constitution du Canada, par son article 133 intitulé l’« Usage facultatif et obligatoire des langues française et anglaise », qui affirme ce qui suit :

Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l’autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l’une ou l’autre de ces langues.

Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

Plusieurs décennies plus tard, en 1969, la Loi sur les langues officielles a été votée et adoptée sur la recommandation de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, mise en place par le premier ministre Lester B. Pearson. Elle est entrée en vigueur le 7 septembre 1969 et elle institue le français et l’anglais comme langues officielles du Canada.

La loi crée notamment le Bureau du commissaire aux langues officielles, maintenant appelé le Commissariat aux langues officielles, chargé d’en surveiller l’application. Conformément à cette loi, toutes les institutions fédérales doivent fournir des services en anglais ou en français en fonction de la demande.

Puis, en 1982, nous avons modifié la Constitution du Canada par l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle y est enchâssée. Celle-ci a donné encore plus de poids aux deux langues officielles. Notamment, les articles 16 et 20 de la Charte se lisent respectivement ainsi, et je cite :

16. (1) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

L’article 20 énonce ce qui suit :

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas : a. l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante; b. l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

Par ailleurs, il est prévu à l’article 96 de la Constitution canadienne ce qui suit :

Nomination des juges

Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Vous savez certainement, honorables sénateurs, que, actuellement, l’obligation en matière de bilinguisme n’est pas imposée aux juges de la Cour suprême. L’article 16 de la Loi sur les langues officielles se lit comme suit :

Il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada de veiller à ce que celui qui entend l’affaire : a) comprenne l’anglais sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en anglais; b) comprenne le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en français; c) comprenne l’anglais et le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu dans les deux langues.

Or, le gouvernement Trudeau a clairement annoncé son intention de modifier cette disposition de la Loi sur les langues officielles et de rendre obligatoire le bilinguisme pour les juges de la Cour suprême. Dans un premier temps, il a déposé en juin dernier, tout juste avant que le Parlement ne s’ajourne pour l’été, le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. À l’article 11 de ce projet de loi, on peut y lire ceci :

11 (1) Le passage du paragraphe 16(1) de la même loi précédant l’alinéa a) est remplacé par ce qui suit :

Obligation relative à la compréhension des langues officielles

Le paragraphe 16 se lirait ainsi :

16 (1) Il incombe aux tribunaux fédéraux de veiller à ce que celui qui entend l’affaire :

Essentiellement, ce que propose cet article, c’est de retirer l’exception afin que le bilinguisme s’applique aussi à la Cour suprême. Ce projet de loi est mort au Feuilleton à la suite de la prorogation du Parlement, mais dans son discours du Trône, le gouvernement a annoncé ceci :

Les deux langues officielles font partie de notre identité. Il est crucial d’appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire et de protéger et promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec. Le gouvernement redéposera sa proposition de Loi visant l’égalité réelle du français et de l’anglais et le renforcement de la Loi sur les langues officielles.

Le gouvernement a donc l’intention de rendre obligatoire le bilinguisme des juges de la Cour suprême. Il réaffirmera ainsi l’importance du bilinguisme aux plus hauts échelons du pays.

[Traduction]

Par ailleurs, dans sa déclaration concernant les 1 300 plaintes que son bureau a reçues à la suite de la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale, le commissaire aux langues officielles a dit, entre autres :

Le bilinguisme institutionnel dépend en grande partie du bilinguisme des personnes qui occupent des postes aux plus hauts échelons de la fonction publique. Nos leaders doivent montrer l’exemple et doivent pouvoir représenter l’ensemble de la population canadienne dans les deux langues officielles.

J’aimerais insister sur cette phrase de l’extrait du discours du Trône que je viens de lire : « Les deux langues officielles font partie de notre identité. »

Pour illustrer et souligner l’importance de cette affirmation, j’ai choisi un extrait du Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, qui a été repris par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac :

L’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba est une manifestation spécifique du droit général qu’ont les Franco-manitobains de s’exprimer dans leur propre langue. L’importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain. C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous. Le langage constitue le pont entre l’isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu’ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.

C’est pourquoi la protection constitutionnelle assurant l’intégrité et l’égalité des deux langues officielles du Canada, c’est-à-dire le français et l’anglais, est nécessaire. En vertu de son statut minoritaire, non seulement au Canada, mais en Amérique du Nord en particulier, le fait français est menacé et il perd du terrain partout au Canada.

(1700)

L’hiver dernier, le gouvernement a déposé un document énonçant ses intentions en matière de réforme des langues officielles ainsi que le plan pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

[Français]

Le rapport s’intitule Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada. La ministre Joly, alors ministre responsable des langues officielles, y déclarait ceci :

Nos langues officielles font partie de notre identité; de notre passé, notre présent et notre avenir. Elles sont des points de rencontre, des traits d’union entre nos cultures. Elles sont au cœur du contrat social de notre pays.

Or, le monde est en changement. Le développement du numérique et du commerce international favorise l’utilisation de l’anglais. De ce fait, l’utilisation du français est en recul au Canada et sa vitalité inquiète. Nous reconnaissons que la langue française est minoritaire par rapport à la langue anglaise et que nous avons un devoir accru de la protéger. Afin d’en arriver à l’égalité réelle entre nos deux langues officielles, nous devons faire des gestes concrets. Ce travail, nous devons le faire ensemble, les uns avec les autres, dans un climat de collaboration et d’acceptation. C’est une question de cohésion sociale.

Dans cette déclaration de la ministre Joly que je viens de citer, j’attire votre attention sur cette phrase :

[…] le monde est en changement. Le développement du numérique et du commerce international favorise l’utilisation de l’anglais. De ce fait, l’utilisation du français est en recul au Canada et sa vitalité inquiète.

Nous avons eu tout récemment un exemple magistral de ce recul. Toutes et tous se souviendront de la fameuse conférence donnée à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain par le PDG d’Air Canada, M. Michael Rousseau. Rappelons que le siège social d’Air Canada se trouve à Montréal, la plus grande ville francophone en Amérique du Nord, et que cette compagnie est assujettie à la Loi sur les langues officielles. M. Rousseau a prononcé la totalité de son allocution en anglais seulement. Interrogé ensuite par les journalistes, le PDG a souligné qu’il ne parlait pas français, malgré le fait qu’il vivait au Québec depuis plus de 14 ans, et que ça ne l’avait jamais empêché de faire quoi que ce soit. Pour en rajouter, il a affirmé qu’il avait bien d’autres priorités dans le poste qu’il occupe que d’apprendre le français.

Dans le concert de déclarations et de dénonciations qui ont suivi ce malheureux incident, deux ministres du gouvernement Trudeau ont fait des déclarations. La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a dit ce qui suit :

Nos deux langues officielles sont notre richesse et nos leaders se doivent d’en faire la promotion. Je vous invite à faire l’effort d’apprendre la magnifique langue qu’est le français.

De son côté, le ministre du Patrimoine y est allé de cette déclaration :

Air Canada doit faire sa part pour respecter nos deux langues officielles, particulièrement le français. Les Québécois sont en droit de s’attendre à ce que l’exemple soit donné au plus haut niveau.

Chers collègues, je partage l’avis du ministre du Patrimoine canadien : les Québécois et les francophones de tout le pays sont en droit de s’attendre à ce que l’exemple soit donné au plus haut niveau. Lorsque l’on nomme une personne unilingue anglaise à une fonction de haut niveau, ces personnes s’engagent régulièrement à apprendre le français durant leur mandat. Cet engagement d’apprendre le français, dans le cas des nominations unilingues anglaises, semble être la baguette magique justifiant un accroc aux valeurs de bilinguisme soutenues par nos lois. C’est d’ailleurs la justification que M. Trudeau nous a servie au moment de nommer Mme Simon au poste de gouverneure générale. Le message que l’on envoie en nommant une gouverneure générale unilingue anglaise est complètement contre-productif. On laisse ainsi sous-entendre que, malgré le fait que nous avons deux langues officielles au Canada, on peut toujours accéder aux plus hautes fonctions en ne parlant qu’une seule des deux langues officielles.

Je me limite à l’anglais, car bien honnêtement, tout comme je ne croyais pas que le premier ministre irait jusqu’à nommer un gouverneur général unilingue anglophone, je crois encore moins qu’il nommerait un gouverneur général unilingue francophone.

[Traduction]

Personnellement, j’estime que toute personne assumant un rôle aussi majeur et important et représentant les valeurs canadiennes doit être bilingue dès le départ. Selon moi, c’est non négociable.

[Français]

L’autre impact de la nomination d’une personne unilingue anglophone à une aussi haute fonction sera que l’entourage et les différents services liés à la gouverneure générale fonctionneront en anglais seulement. M. Stéphane Dion, lors de l’étude du projet de loi C-419 sur les compétences linguistique des agents du parlement, a prononcé ces paroles que je considère très justes :

N’est-il pas vrai que si la tête n’est pas bilingue, le corps risque de ne pas l’être non plus? Si le commissaire ne comprend pas le français, alors tout le système, tout l’appareil, ne parlera que l’anglais.

En ce sens, le sénateur Joyal, lors d’une séance du comité plénier du Sénat tenue le 1er novembre 2011 pour étudier la nomination de M. Ferguson au poste de vérificateur général, a déclaré ceci :

Il y a une distinction à faire entre une personne qui est disposée à apprendre une langue et une autre qui doit maîtriser la langue au moment de prendre possession de ses fonctions.

Vous imaginez, honorables sénateurs, un hôpital qui engagerait des médecins qui sont au début de leur formation sous prétexte qu’ils s’engagent à poursuivre leurs études? C’est pourtant ce qui se produit lorsqu’un premier ministre désigne un chef d’État unilingue anglophone pour un pays dont le français et l’anglais sont les langues officielles, des langues qui sont le socle de notre identité et de nos valeurs communes, sous prétexte que cette personne s’engage à apprendre le français?

Dans le document qu’elle a présenté et qui sert de préalable à la modernisation prochaine de la Loi sur les langues officielles, la ministre Joly affirmait ceci :

Le gouvernement fédéral doit agir dans ses champs de compétence afin de répondre aux préoccupations des francophones au Québec et au pays, de protéger et promouvoir la langue française et de renforcer le sentiment de sécurité linguistique [...]

L’État fédéral doit jouer un rôle de premier plan en matière de bilinguisme. Les juges nommés à la Cour suprême doivent être bilingues, le rôle de CBC/Radio-Canada en tant qu’institution culturelle doit être consolidé et les pouvoirs du commissaire aux langues officielles doivent être renforcés. La fonction publique, point de contact privilégié des Canadiens avec leur gouvernement fédéral, doit aussi donner l’exemple.

C’est très difficile pour moi de concilier cette affirmation avec un geste concret posé par le gouvernement, celui de nommer une gouverneure générale unilingue anglophone. C’est la raison pour laquelle j’en suis venu à la conclusion que nous nous devons de baliser à l’avenir les nominations au poste de gouverneur général afin de nous assurer que plus jamais nous ne nous retrouverons avec un chef d’État et commandant en chef des armées qui ne pourra pas communiquer avec un peu plus de 8 millions de Canadiennes et de Canadiens.

La Loi sur les compétences linguistiques, qui a été adoptée en 2013, m’a semblé être l’avenue la plus prometteuse pour atteindre cet objectif. Il est utile de faire un rappel historique sur la présentation de ce projet de loi à la Chambre des communes, les débats qui y ont eu cours et son adoption finale.

En novembre 2011, le premier ministre Harper a nommé M. Michael Ferguson au poste de vérificateur général du Canada. M. Ferguson était un anglophone unilingue, mais il s’était engagé à apprendre le français au cours de son mandat. L’opposition s’est enflammée contre cette nomination au point où les députés libéraux se sont retirés de la Chambre des communes au moment du vote sur la nomination du nouveau vérificateur général afin de bien montrer leur indignation.

Puis, le 1er mai 2012, la députée de Louis-Saint-Laurent, Mme Alexandrine Latendresse, a déposé le projet de loi C-419, qui édictait que les agents du Parlement devaient comprendre les deux langues officielles sans le soutien d’un service d’interprétation. Ces serviteurs de l’État étaient identifiés comme se trouvant au plus haut échelon de la pyramide de la fonction publique canadienne, et leur bilinguisme devait être un signal fort envoyé à la fonction publique, mais également aux Canadiennes et aux Canadiens. Certaines citations lors de l’étude en comité à l’étape de la deuxième lecture et à l’étape de la troisième lecture de ce projet de loi valent la peine d’être reproduites ici. Le député Jacques Gourde, dans une réponse du gouvernement au projet de loi C-419, nous disait ceci :

Nous comprenons que le bilinguisme est au cœur de notre identité en tant que pays et contribue à notre richesse historique et à notre richesse culturelle. Il donne une voix aux communautés de langues officielles en situation minoritaire d’un océan à l’autre et contribue à la vitalité économique du Canada. Cela renforce la résilience de notre fédération grâce à la prestation de service dans les deux langues officielles.

(1710)

Marc Garneau, député de Westmount—Ville-Marie, disait ce qui suit :

Monsieur le Président, j’ai le plaisir de parler de ce projet de loi. Il semble que tout le monde l’appuie [...] Il est parfaitement évident que les agents du Parlement doivent être bilingues. Dans le meilleur des mondes, nous n’aurions pas besoin d’une loi pour le savoir.

M. Stéphane Dion disait ceci :

Monsieur le Président, [...] je peux dire que nous parlons ici d’un projet de loi dont nous ne devrions pas, normalement, avoir à parler, d’une mesure que tout le monde tient pour acquise et qui, dans l’esprit des Canadiens, est déjà adoptée.

L’obligation pour les agents du Parlement d’être bilingues et de parler les deux langues officielles du Canada est quelque chose qui allait de soi jusqu’à ce que ce premier ministre nomme un vérificateur général unilingue. Ça a été un choc. Le parti auquel j’appartiens a réagi si fortement qu’il a refusé de voter la nomination de ce vérificateur général. Nous sommes sortis de la Chambre et nous n’avons même pas voté. [...]

C’est une insulte aux Canadiens que de leur dire que, dans des postes aussi cruciaux, on demande aux titulaires de divertir une large part de leurs efforts et de leur temps pour apprendre une langue alors qu’ils ont passé l’âge de 40 ou de 50 ans. Ils ont autre chose à faire. Ils doivent être en mesure de comprendre les deux langues officielles au moment de leur nomination. [...]

L’autre raison pour laquelle le vérificateur général et les autres agents du Parlement devraient être bilingues, c’est qu’il faut envoyer le bon message à la jeunesse de notre pays. Les jeunes qui ont de l’ambition, et qui veulent accéder à toutes les responsabilités dans leur pays, devraient apprendre les deux langues officielles.

Il est essentiel d’avoir fait cet apprentissage à l’âge de 18 ans, car ce sera beaucoup plus difficile à 48 ans. Lorsqu’ils voudront accéder à de hautes responsabilités, ce sera peut-être trop tard. C’est le message qu’il faut envoyer dès maintenant, par l’intermédiaire de ce projet de loi. C’est essentiel pour la configuration même de notre pays et pour son aptitude à rendre hommage à ses deux langues officielles.

C’est pour nous un atout extraordinaire que d’avoir deux langues officielles qui sont aussi des langues internationales. Nous devons veiller à préserver cet atout à l’avenir. Le message qu’il faut envoyer, c’est que la responsabilité la plus importante, y compris pour vous, monsieur le Président, c’est de pouvoir s’adresser à ses concitoyens canadiens dans les deux langues officielles. [...]

Quand on croit au bilinguisme, on en facilite l’expansion.

L’article 12 de la Constitution de 1867 stipule ce qui suit, et je cite :

Tous les pouvoirs, attributions et fonctions qui [...] sont conférés aux gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs [...] conférés au gouverneur-général et pourront être par lui exercés, [...] mais ils pourront, néanmoins [...] être révoqués ou modifiés par le parlement du Canada.

Honorables sénateurs, nous avons donc toute la légitimité requise pour encadrer la nomination des futurs gouverneurs généraux.

Souvenez-vous, honorables sénateurs, que l’un de nos rôles constitutionnels est de protéger les minorités. Nous n’avons pas à faire la démonstration que les francophones du pays représentent l’une des plus importantes minorités en nombre et qu’ils font tout autant partie de notre patrimoine.

Si plus de 1 300 Canadiennes et Canadiens ont déposé une plainte au Bureau du commissaire aux langues officielles à la suite de la nomination de Mme Simon, je peux vous affirmer, honorables sénateurs, que j’ai reçu un nombre record de messages d’appui après avoir déposé mon projet de loi.

[Traduction]

Je crois fermement que ce projet de loi est important pour les Canadiens. Je vous exhorte à l’appuyer sans délai et à l’adopter à l’étape de la deuxième lecture afin qu’il puisse être renvoyé au comité et applaudi par le peuple canadien.

[Français]

Chers collègues, je vous remercie beaucoup de votre attention.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Son Honneur le Président : Sénateur Housakos, souhaitiez-vous vous joindre au débat ou poser une question?

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) : J’aimerais poser une question, si le sénateur Carignan le veut bien.

[Français]

Son Honneur le Président : Sénateur Carignan, des sénateurs veulent vous poser des questions. Accepteriez-vous d’y répondre?

Le sénateur Carignan : Oui, bien sûr, monsieur le Président.

Le sénateur Housakos : Sénateur Carignan, merci de votre engagement à l’égard des langues officielles du Canada. J’aimerais avoir vos commentaires sur certains aspects qui s’y rattachent.

Seriez-vous d’accord pour dire que la Loi sur les langues officielles du Canada n’est pas comme n’importe quelle autre loi, et qu’il s’agit de bien plus qu’une question qui définit les deux langues officielles du pays?

Ne croyez-vous pas que les langues officielles du Canada sont un élément qui est censé nous identifier en tant que Canadiens?

Les langues officielles ne sont-elles pas un outil qui unit les Canadiens d’un océan à l’autre? Êtes-vous d’accord pour dire que, d’où que nous venions, les deux langues officielles sont utilisées quotidiennement, au Canada ainsi que dans toutes les régions du monde?

C’est aussi une façon de célébrer les deux peuples fondateurs de ce pays, dont les Acadiens, qui ont ouvert leurs portes et ont donné la chance à des gens comme moi, fils d’immigrant, de s’établir ici. Ma langue maternelle n’était ni le français ni l’anglais.

Comme institution et comme pays, nous avons toujours célébré le fait que tous les Canadiens sont libres d’utiliser leur langue maternelle.

Pour être précis, êtes-vous d’accord avec moi pour dire que les langues officielles sont, incontestablement, un élément qui représente l’identité canadienne?

Le sénateur Carignan : Oui, effectivement, sénateur, vous faites bien ressortir le caractère identitaire caractéristique de notre pays, avec ses deux peuples fondateurs et ses deux langues officielles.

C’est aussi le rôle du gouverneur général de représenter cette identité canadienne, et c’est pourquoi il est important, parmi les critères de sélection, de privilégier le fait que la personne puisse s’adresser aux Canadiens dans les deux langues officielles. C’est aussi le message que l’on veut envoyer dans le monde, soit que le Canada est un pays bilingue, qui a deux langues officielles, l’anglais et le français. Lorsque le gouverneur général s’adresse aux gens à l’extérieur du pays, il montre que le Canada est un pays qui a deux langues officielles.

La promotion de cette identité exige donc la connaissance et l’usage des deux langues.

J’ai beaucoup apprécié la citation de M. Dion, qui est, je crois, un homme que tout le monde respecte énormément. J’ai trouvé particulièrement important le passage où il dit que si on veut que le corps soit bilingue, il faut que la tête soit bilingue. Donc, si la tête est unilingue, le corps sera unilingue aussi.

Je pense que l’on doit profiter de toutes les occasions de promouvoir nos deux langues officielles. Je crois que lorsqu’on nomme des gens à des postes à un aussi haut niveau que celui de chef d’État et de commandant en chef, cette personne doit être en mesure de s’adresser aux gens dans nos deux langues officielles.

[Traduction]

L’honorable David M. Wells : Le sénateur Carignan accepterait-il de répondre à une question?

Son Honneur le Président : Sénateur Carignan, accepteriez-vous de répondre à une question?

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Sénateur Carignan, je vous remercie de votre discours. C’est une idée intéressante. Vous dites qu’elle est importante pour tous les Canadiens. Croyez-vous qu’elle l’est pour les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador, qui ont peut-être un représentant qui ferait un excellent gouverneur général, mais qui parle ne parle que l’anglais et qui est prêt à apprendre le français? Ou encore, croyez-vous qu’il est important pour un Albertain, un résidant de la Saskatchewan ou de n’importe où ailleurs au Canada?

[Français]

Le sénateur Carignan : Si vous parlez du poste de lieutenant-gouverneur, j’imagine que oui. Ces postes de haut niveau doivent être des postes bilingues. J’ai libellé mon projet de loi pour le poste de gouverneur général. Comme vous le savez, j’ai déposé un autre projet de loi au sujet du poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick qui est une province bilingue conformément à la Constitution.

Dans un monde idéal, ces postes de haut niveau devraient être bilingues.

(1720)

J’ai entendu aujourd’hui le discours de quelqu’un qui a participé à une cérémonie tenue à Montréal, au Musée des beaux-arts, pour les festivités entourant Riopelle. Cette personne, qui représentait les musées du Canada, parlait uniquement en anglais. Elle a fait un discours en anglais seulement pour célébrer un peintre français dans une ville francophone, même s’il y avait beaucoup de francophones présents à cette occasion. Cela envoie toujours un message un peu négatif. On doit pouvoir célébrer et promouvoir nos deux langues officielles. Tous ces postes de haut niveau devraient être bilingues.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Sénateur Carignan, je voulais dire la gouverneure générale. Si j’ai parlé de lieutenant-gouverneur, je m’en excuse.

Vous avez parlé de message positif. Croyez-vous que ce serait un message positif si un candidat au poste de gouverneur général francophone s’engageait à apprendre l’anglais et, inversement, si un candidat anglophone s’engageait à apprendre le français? Ne croyez-vous pas que cela enverrait un message encore plus positif au sujet de ce poste et de la nécessité d’être bilingue au Canada?

[Français]

Le sénateur Carignan : Il y a une difficulté pour ce qui est de s’engager à apprendre l’autre langue lorsqu’on n’a pas les compétences requises dès le début, et c’est qu’il s’agit de postes occupés pour une durée de cinq ans. Donc, si la personne ne peut pas communiquer pendant deux, trois ou quatre ans avec les gens dans les deux langues officielles, il y a une partie de sa fonction qui n’est pas pleinement remplie. Il s’agit de compétences qu’on devrait maîtriser dès la nomination; on ne devrait pas avoir à s’engager à apprendre l’autre langue.

Nous avons vu l’exemple du vérificateur général. M. Ferguson a commencé à donner des entrevues en français environ trois ans après sa nomination. Il y a une partie de son mandat pendant laquelle il n’a pas pu communiquer avec les francophones pour présenter ses rapports ou répondre à des questions de la part des journalistes. Évidemment, tout cela envoie un message positif, quand on fait des efforts pour apprendre le français ou l’anglais, selon le cas. Je pense que vous m’avez vu évoluer en anglais, moi aussi. Vous avez vu les efforts que j’ai faits pour apprendre l’anglais et le parler le mieux possible. Plusieurs d’entre vous ont été témoins de cela. Cela dit, les compétences requises pour occuper ces postes doivent être en place dès le début, et non pas en cours de route, de façon à ce que les personnes nommées puissent exercer pleinement leurs fonctions.

[Traduction]

L’honorable Frances Lankin : Je suis très intéressée par les arguments que vous présentez et très ouverte à appuyer cette mesure. C’est une qualité du Canada que je chéris, mais mon approche dans ce genre de chose, c’est de travailler en amont, si possible, plutôt qu’en aval.

D’après moi, un groupe de sénateurs pourrait être formé pour produire des recommandations visant à influer sur les systèmes d’éducation des provinces afin qu’ils offrent un enseignement des langues officielles adéquat et que les étudiants apprennent ces dernières.

L’enseignement que j’ai eu lorsque j’étais jeune n’était certainement pas de qualité. J’ai appris sur le tas, au Québec.

Vous avez répété plusieurs fois que la gouverneure générale est unilingue. Je voulais simplement mentionner qu’elle n’est pas unilingue.

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, vous avez raison.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Je sais que, sur le plan des deux langues officielles, elle l’est. Cependant, il y a beaucoup de gens qui occupaient ces terres avant nous et qui parlent diverses langues autochtones, dont l’innu.

Je pense également qu’il est temps de revitaliser la langue française et d’en assurer la pérennité, mais nous devons aussi reconnaître que nous traversons une période de réconciliation, et qu’il s’agit d’une nomination très importante.

Je prends part à cette discussion avec l’opinion qu’il s’agit d’une nomination spéciale, significative et vraiment importante, et j’accepte l’engagement d’apprendre l’anglais. Cependant, je postule — et ce n’est pas une critique de votre projet de loi; vous essayez de remédier dans l’immédiat à la situation — que le Canada se porterait probablement mieux à long terme si tous les étudiants canadiens consacraient plus de temps à la maîtrise des deux langues officielles. Avez-vous des commentaires à ce sujet ou souhaitez-vous donner suite à ce type de recommandations ou d’interventions auprès des systèmes d’éducation provinciaux?

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, tout à fait. Évidemment, quand j’ai dit qu’elle était unilingue, je voulais dire qu’elle n’était pas bilingue sur le plan des deux langues officielles. Je salue les compétences de la gouverneure générale pour ce qui est de parler d’autres langues, dont l’inuktitut.

Il faut promouvoir les deux langues officielles, et on devrait encourager la diffusion des meilleurs messages possible et financer le mieux possible tout ce qui touche l’éducation dans les deux langues officielles partout au pays. J’ai des enfants qui sont devenus des francophones hors Québec. Je ne suis pas encore grand-père, mais j’espère que mes petits-enfants auront la chance de continuer à parler le français, qu’ils pourront apprendre le français même s’ils sont à l’extérieur du Québec et qu’ils auront cet enrichissement et cette disponibilité-là. Donc, évidemment, je suis d’accord avec cela.

L’honorable Chantal Petitclerc : J’aurais une question à poser à mon collègue le sénateur Carignan, s’il le veut bien.

Le sénateur Carignan : Oui, bien sûr.

La sénatrice Petitclerc : Sénateur Carignan, la sénatrice Lankin a déjà traité de ma question en partie. D’abord, je partage cette préoccupation sur le plan des compétences linguistiques et de la protection des langues officielles. La sénatrice Lankin parlait évidemment de cet objectif sur le plan de l’éducation afin qu’on puisse encourager davantage de gens. Ma question est un peu plus précise, mais elle va dans le même sens. Je me demande si vous avez identifié à quoi on devrait s’attaquer, à quelle étape du processus pour que, justement, ce défi n’existe pas quand une personne se trouve dans ce genre de situation.

Parfois, on voit certains individus très compétents, dont le parcours de vie les a mis dans la position de représenter le Canada ici et ailleurs. On pourrait croire qu’ils voudraient sincèrement apprendre les deux langues officielles, puisqu’ils savent qu’ils risquent de jouer un jour certains rôles ou d’occuper certains postes qui l’exigent.

Je me demande si vous avez réfléchi à cette question et si vous avez déterminé à quelle autre étape d’un plan de carrière on pourrait s’attaquer à ce problème.

Le sénateur Carignan : Évidemment, j’ai moins étudié cette partie-là. Je vous dirais que, pour l’instant, une modernisation de la Loi sur les langues officielles est imminente. J’ai l’intention, dès qu’elle sera présentée, de m’y attaquer afin de travailler sur ce dossier.

(1730)

Pour l’instant, je crois que nous devons traiter d’un symbole puissant, le poste de gouverneur général, pour nous assurer que ce poste est occupé à l’avenir par des personnes qui parlent les deux langues officielles. Pour moi, c’est un message puissant que nous envoyons à l’ensemble des Canadiens. C’est probablement le message le plus puissant qui pourrait être envoyé sur le plan symbolique.

Son Honneur le Président : Sénateur Carignan, votre temps de parole est écoulé, mais d’autres sénateurs aimeraient vous poser des questions. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Carignan : Je demande cinq minutes de plus. Si les sénateurs acceptent, je répondrai aux questions avec plaisir.

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Carignan, tout d’abord, je veux vous féliciter de présenter ce projet de loi, et surtout d’y avoir pensé au moment où tout cela s’est produit. Comme vous, j’ai été déçue et étonnée des capacités linguistiques en français de la nouvelle gouverneure générale, ce qui n’enlève rien à son autre bilinguisme ni à sa culture. Comme l’a dit la sénatrice Lankin, il y a là, évidemment, un symbole extraordinaire. Malheureusement, je vous dirais que c’est un débat extrêmement délicat pour des francophones que de se prononcer là-dessus, parce qu’on semble manquer totalement de générosité quand on réclame que les postes officiels au Canada soient occupés par des gens qui peuvent parler notre langue. Pourtant, la réalité montre que ce n’est souvent pas le cas.

Vous avez parlé de vos efforts pour apprendre l’anglais, mais l’inverse n’est pas toujours le cas. Je sais que la sénatrice Lankin en a parlé, mais nous avons dans la fonction publique des cours offerts à quiconque veut apprendre le français. Dans la fonction publique, on a tous les moyens à notre disposition pour apprendre le français si on le souhaite. C’est donc une question de volonté.

Il me semble que si une personne qui parle seulement le français et une langue autochtone avait été nommée au poste de gouverneur général, cela aurait créé énormément de remous dans notre pays majoritairement anglophone. Je demande à mes collègues anglophones de s’interroger : comment auraient-ils réagi si notre nouvelle gouverneure générale n’avait parlé que le français et une autre langue autochtone? Je crois que cela aurait, là aussi, suscité une certaine insatisfaction.

Le sénateur Carignan : Évidemment, c’est un peu le but du projet de loi. J’aurais éprouvé le même malaise, mais dans le sens inverse, et on peut le comprendre, parce que l’idée est de représenter l’identité canadienne, qui est bilingue. Donc, c’est l’objectif même du projet de loi. Évidemment, vous comprendrez que le projet de loi, s’il est adopté, empêchera aussi qu’un futur gouverneur général ne parle que le français et une autre langue s’il ne parle pas l’anglais. Je comprends bien votre question et je partage votre opinion.

L’honorable René Cormier : Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Carignan : Oui.

Le sénateur Cormier : Sénateur Carignan, je veux d’abord vous remercier sincèrement d’avoir déposé ce projet de loi qui, en fait, nous invite à entamer une conversation plus transparente sur un sujet sensible, en effet. Je crois que nous reconnaissons tous la grande compétence de Mme Simon et ses grandes qualités, mais aussi le fait que nous nous trouvons à un moment crucial de notre histoire où la réconciliation doit faire l’objet de décisions symboliques et importantes. Cela dit, et je voudrais vous entendre là-dessus, je crois que cette nomination crée un malaise profond dans la société canadienne, puisqu’elle a tendance à opposer les langues autochtones à la langue française, alors que les deux peuvent être compatibles dans un certain contexte.

Vous avez abordé la question de l’éducation, qui est de compétence provinciale, nous le savons. Nous savons aussi que, dans la fonction publique fédérale, comme l’a indiqué la sénatrice Miville-Dechêne, des formations linguistiques sont offertes.

Quelle est votre réflexion face à ce constat que vous faites dans ce projet de loi, et face au constat que vous pourriez faire sur les défis qui sont ceux de la fonction publique fédérale, qui doit offrir des formations et autoriser des évaluations faisant en sorte que les fonctionnaires fédéraux de haut niveau puissent parler les deux langues officielles?

Le sénateur Carignan : Je pense qu’effectivement, il y a des formations qui sont offertes et elles sont accessibles. Il faut promouvoir l’importance de parler les deux langues. Je crois qu’il faudrait peut-être penser, dans la fonction publique fédérale, à créer des incitatifs supplémentaires pour que les gens puissent apprendre les deux langues. C’est un dossier qui m’intéresse de plus en plus. Je travaille actuellement sur certains dossiers qui touchent les services en anglais et en français dans la fonction publique, et on constate une disparité dans les délais, dans la qualité des services qui sont rendus et dans le temps qu’il faut pour répondre à certains appels, selon qu’ils sont faits en français ou en anglais.

Il y a encore beaucoup à faire. Encore une fois, pour reprendre les mots du ministre Stéphane Dion, quand la tête est unilingue anglaise ou française, il y a de fortes chances pour que le corps soit tout aussi unilingue. Donc, il est important de le faire sur tous les plans, mais particulièrement sur celui de la tête.

Le sénateur Cormier : J’ai une question complémentaire. Votre projet de loi traite de la Loi sur les compétences linguistiques. Vous avez parlé également de la Loi sur les langues officielles. Les parties V et VI de la Loi sur les langues officielles — et la partie IV aussi — traitent de la langue de travail et du droit des Canadiens et Canadiennes de travailler dans leur langue. Êtes-vous d’accord avec moi, sénateur Carignan, pour dire que, dans cette nouvelle version de la Loi sur les langues officielles qui est imminente, il sera extrêmement important pour tous de tenir compte de possibles modifications dans ces parties de la loi?

Le sénateur Carignan : Je vous remercie de votre question. Oui, tout à fait, je ne veux pas déclencher un débat sur la future loi, mais il faudra assurément apporter des améliorations à de grandes parties de cette loi, et il faudra également accorder des pouvoirs plus coercitifs au commissaire aux langues officielles. Il y a un travail important à faire dans ce dossier.

(Sur la motion du sénateur White, au nom du sénateur Dagenais, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Griffin, appuyée par l’honorable sénateur Black, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (utilisation du bois).

L’honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à signaler que je vous parle aujourd’hui depuis le territoire ancestral et non cédé des Mi’kmaqs.

Je prends la parole à propos du projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (utilisation du bois). Si j’ai bien compté, il s’agit de la sixième version de ce projet de loi. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai l’impression que c’est du déjà-vu. Je félicite la sénatrice Griffin de sa détermination à tenter de faire adopter ce projet de loi.

La foresterie compte pour beaucoup au Canada. Selon le rapport annuel de 2020 de Ressources naturelles Canada intitulé Les forêts du Canada : L’adaptation aux changements, avec ses 347 millions d’hectares de forêts, le Canada est le troisième pays le plus couvert de forêts dans le monde. En effet, le Canada compte 9 % des forêts mondiales.

(1740)

En 2018, le secteur forestier employait directement 204 555 personnes. C’est beaucoup de gens.

En 2019, le secteur forestier canadien a contribué à hauteur de 23,7 milliards de dollars au PIB nominal du Canada.

D’un point de vue pratique, le projet de loi est très sensé. Nous avons les matériaux. Nous avons un plan de développement durable. Nous avons les ressources humaines. Sa viabilité et ses avantages environnementaux sont les aspects les plus importants du secteur forestier.

D’après le même rapport, 200 millions d’hectares de forêts au Canada font l’objet d’un plan d’aménagement forestier à long terme. Ces chiffres datent de 2016.

D’après des chiffres datant de 2019, le Canada comprend 168 millions d’hectares de forêts certifiées conformément aux normes établies par de tierces parties en matière d’aménagement durable des forêts, et 77 % des terres forestières de la Couronne aménagées au Canada sont certifiées conformément aux normes établies par de tierces parties en matière d’aménagement durable des forêts. C’est important pour la viabilité à long terme de l’industrie. En protégeant la durabilité de nos forêts, nous garantirons la disponibilité des produits, peu importe l’usage qui leur est destiné.

Les arbres ont également l’avantage d’assainir l’air. Assurer la durabilité du secteur forestier est essentiel à notre lutte contre les changements climatiques. De toute évidence, il est plus écologique d’utiliser du bois que d’utiliser de l’acier ou du béton.

Comme mon honorable collègue l’a souligné dans son discours, et il est bon de le répéter, un mètre cube de bois émet 60 kilogrammes de carbone, contre 345 kilogrammes pour le même volume de béton et 252 kilogrammes pour l’acier. Alors que nous tentons d’atténuer les effets des changements climatiques, il est important que nous tenions compte de ces facteurs au moment de choisir nos matériaux de construction.

Le projet de loi exigerait que, dans l’élaboration des exigences visant la construction, l’entretien et la réparation des ouvrages publics et des immeubles fédéraux et des biens réels fédéraux, le ministre tienne compte de toute réduction potentielle des émissions de gaz à effet de serre et de tout autre avantage pour l’environnement et puisse autoriser l’utilisation du bois ou de toute autre chose, notamment de matériel, de produits ou de ressources durables, qui offre pareil avantage.

À mon avis, c’est une idée qui mérite d’être approfondie. J’ai hâte d’obtenir plus d’informations à ce sujet quand nous renverrons le projet de loi au comité.

Merci, honorables sénateurs.

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Tannas, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts.)

Le Code criminel
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénatrice Marshall, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-223, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains).

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Comité de sélection

Deuxième rapport du comité—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur MacDonald, appuyée par l’honorable sénateur Smith, tendant à l’adoption du deuxième rapport (provisoire) du Comité de sélection, intitulé Durée de la composition des comités, présenté au Sénat le 2 décembre 2021.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je vais commencer mon discours et le poursuivre après la pause.

Honorables sénateurs, la semaine dernière, nous avons adopté le rapport du Comité de sélection afin de former les comités permanents du Sénat. Avec l’adoption du premier rapport du Comité de sélection, des sénateurs ont été nommés au sein des divers comités permanents selon la répartition des sénateurs entre les différents groupes du Sénat.

Ainsi, dans chaque comité, le Groupe des sénateurs indépendants a obtenu environ 48 % des sièges, le Parti conservateur du Canada en a obtenu environ 20 %, le Groupe progressiste du Sénat en a obtenu 17 %, et le Groupe des sénateurs canadiens en a obtenu 14 %. Les sénateurs non affiliés qui voulaient faire partie d’un comité se sont vu offrir des sièges parmi ceux attribués aux divers groupes.

Tous les sénateurs qui voulaient siéger à un comité se sont vu offrir au moins un siège. Personne n’a été exclu. Cependant, comment les sénateurs ont-ils obtenu les sièges qui leur ont été attribués? Certains sénateurs ont-ils pu demander des sièges en particulier?

Certains sénateurs se voient-ils accorder le privilège d’obtenir un siège dans un comité en particulier? Évidemment, la réponse est non. Nous le savons, car, dans les deux dernières semaines, nous avons tous suivi un processus de sélection pendant lequel nous avons indiqué dans quels comités nous voulions siéger pour ensuite résoudre les inévitables conflits qui surviennent quand les sénateurs qui veulent siéger dans un comité donné sont plus nombreux que le nombre de sièges à attribuer.

Les différents groupes utilisent différents protocoles pour attribuer les sièges à leurs membres. Mais je suis certain que, dans tous les groupes, il y a des sénateurs qui ont les mêmes intérêts. Résultat : la plupart des sénateurs n’ont pas obtenu un siège au comité souhaité. C’est certainement le cas du Groupe des sénateurs indépendants.

Certes, tous les membres du Groupe des sénateurs indépendants ont obtenu un siège au comité qui était leur premier choix, mais peu ont eu leur deuxième et troisième choix.

Ce qui m’amène à aborder le sujet du deuxième rapport du Comité de sélection dont nous sommes en train de débattre.

Soyons clairs. Tout d’abord, il s’agit d’un rapport du Comité de sélection, dûment adopté par la majorité des membres de ce comité, lequel est composé de sénateurs de tous les groupes et de sénateurs non affiliés.

Le Comité de sélection a publié un rapport portant uniquement sur ce sujet, plutôt que d’intégrer celui-ci au premier rapport du Comité de sélection, parce que le Groupe progressiste du Sénat a insisté pour faire la distinction entre la question de la transférabilité et celle de la composition des comités.

Les leaders des trois autres groupes — les conservateurs, le Groupe des sénateurs canadiens et le Groupe des sénateurs indépendants — se sont entendus sur la non-transférabilité des sièges, conformément aux ordres sessionnels de la législature précédente.

Ceux qui ont été témoin de la polémique de mardi soir ont peut-être eu l’impression que la suspension de la transférabilité fait l’objet d’un complot orchestré par les facilitateurs assoiffés de pouvoir qui sont à la barre du Groupe des sénateurs indépendants. En fait, trois des quatre groupes du Sénat ont appuyé une version de ce rapport lors de séances précédentes, et le Sénat a voté en faveur de la non-transférabilité chaque fois qu’elle lui a été soumise.

(1750)

Honorables sénateurs, le siège au comité que vous avez obtenu la semaine dernière découle d’un processus de négociation au sein de votre groupe, et il a fort probablement empêché un autre membre du même groupe d’obtenir un siège. Pour l’exprimer de façon inverse, vous n’avez pas obtenu le siège que vous souhaitiez obtenir en raison du processus de sélection établi par votre groupe auquel vous avez volontairement participé. Comme on dit : parfois on gagne, parfois on perd. Vous avez néanmoins consenti au processus. Il coule donc de source, selon moi, que si vous choisissez de quitter le groupe, vous devriez par souci de justice céder le siège au groupe, de sorte qu’au besoin, il puisse être réattribué à un membre qui est en attente.

Honorables sénateurs, voilà pourquoi la question dont nous débattons aujourd’hui ne concerne pas l’indépendance du Sénat ni l’égalité des sénateurs, mais le concept plutôt banal — mais ô combien fondamental — de franc-jeu et d’intégrité procédurale. Chaque fois qu’il faut reconstituer les comités, comme nous le faisons au début de la 44e législature, nous devons résoudre la question de la rareté des sièges de comité par rapport à la demande trop grande des sénateurs. On voit bien que je suis économiste.

En fin de compte, nous avons décidé de régler le problème en attribuant les sièges de façon proportionnelle aux groupes reconnus du Sénat, puis en laissant ces derniers décider comment répartir les sièges qui leur ont été assignés. Cette décision est tout bêtement une question de mathématiques. Elle ne découle pas de quelque noble principe, comme l’ont soutenu les sénateurs ayant exprimé une opinion dissidente au rapport du Comité de sélection.

Puisqu’il est question de mathématiques, je me permets de contredire les sénateurs Mercer, Cordy et Bellemare, qui ont prétendu avoir fondé leurs arguments sur des critères mathématiques sans avoir vraiment fait les calculs. Ils affirment à juste titre que tout passage de sénateurs d’un groupe à l’autre changera la proportionnalité des groupes au Sénat. Ils utilisent cela pour défendre la transférabilité. Cependant, si on prend le temps de faire les calculs, on constate que le passage d’un ou deux sénateurs à un autre groupe ne modifie pas grandement la répartition des sièges au sein des comités sénatoriaux. J’ai fait le calcul, et je peux confirmer que le Groupe des sénateurs indépendants aurait exactement le même nombre de membres dans les comités formés de 9, 12 et 15 sénateurs si un ou même deux membres quittaient notre groupe. Cela s’apparente à la retraite ou au décès d’un sénateur, qui n’entraînent pas de changement immédiat dans la distribution des sièges au sein d’un comité.

Si un grand nombre de sénateurs quittent un groupe, la proportionnalité serait concrètement affectée et il faudrait changer la répartition des sièges. Toutefois, ce n’est pas très différent de ce qui se passe lors de la nomination de nouveaux sénateurs, qui a aussi une incidence sur les calculs de proportionnalité.

Le fait est que nous ne recalculons pas la proportionnalité chaque fois qu’il y a des mouvements — même pas, si je puis dire, lorsque les mouvements sont assez importants, comme ce fut le cas au cours de la dernière législature lorsque le Groupe des sénateurs indépendants a augmenté d’environ 20 %, alors que la répartition des sièges en comité est restée la même.

On repassera pour les calculs. Laissez-moi maintenant revenir sur les arguments très nobles de mes honorables collègues que nous avons entendus mardi soir à propos de l’indépendance et de l’égalité des sénateurs.

Nous avons entendu le sénateur Mercer dire qu’un sénateur ne peut être autre chose qu’un sénateur. C’est une très belle tautologie, mais qu’est-ce que cela signifie? Je dirai même plus, en quoi cela est-il pertinent dans le cadre du débat qui nous concerne?

Le sénateur Mercer ferait probablement valoir qu’un sénateur qui est privé de son siège à un comité reçoit un traitement inférieur à celui des autres sénateurs. Or, d’où vient le droit d’un sénateur d’avoir ce siège à un comité initialement? La gouverneure générale le lui a-t-il attribué? Est-ce écrit dans la convocation qu’elle a envoyée? Avons-nous une règle qui affirme une telle chose? Bien sûr que non. En fait, à ma connaissance, aucune règle ne prévoit que les sénateurs doivent siéger aux comités.

Je tiens à être clair : je pense que tous les sénateurs ont le droit de siéger aux comités. Toutefois, je ne pense pas qu’un sénateur a le droit de siéger à un comité en particulier.

Nous avons encore une fois entendu mardi soir l’affirmation erronée selon laquelle ce rapport prive les sénateurs du droit de siéger à un comité. Ce n’est pas le cas. Tous les sénateurs ont le droit de siéger à un comité, y compris ceux qui ne font partie d’aucun groupe ou caucus, s’ils souhaitent occuper ces fonctions. Il n’y a aucune violation du principe de l’égalité.

Les opposants aux conclusions du rapport voudraient vous faire croire que l’égalité s’étend jusqu’au droit d’un sénateur à siéger à un comité en particulier. Pourquoi en serait-il ainsi? Plus important encore, comment cela serait-il possible alors qu’il y a plus de sénateurs qui souhaitent faire partie d’un comité que le nombre de sièges disponibles?

Ce que je veux dire, chers collègues, c’est que bien que les sénateurs aient le droit de siéger aux comités, aucun siège de comité ne leur revient obligatoirement. Les sièges au sein des comités ne peuvent être attribués qu’au moyen de ce qui revient essentiellement à un processus de négociation. L’affirmation, par un sénateur, qu’il a le droit indéniable de se voir attribuer un certain siège contreviendrait à l’entente négociée, serait contraire à toute logique et porterait atteinte à l’équité procédurale.

Je dirais même que ce concept de transférabilité enfreint le principe de l’égalité et mine le mantra du sénateur Mercer, « un sénateur ne peut être autre chose qu’un sénateur ».

Les opposants aux conclusions du rapport soutiennent également que celui-ci porte sur l’indépendance des sénateurs. Voilà un autre argument qui vise à brouiller les pistes. En ce qui me concerne, un sénateur qui quitte un groupe perd son siège aux comités non pas en raison de ses opinions, mais en raison de l’entente qu’il a signée au moment de se joindre au groupe. Autrement dit, le siège lui est retiré parce qu’il ne lui a jamais appartenu.

Cela ne veut pas dire qu’un sénateur qui quitte un groupe perdra systématiquement son siège aux comités. Si le siège n’est pas très convoité au sein du groupe, il n’est pas nécessaire de le lui retirer. Le sénateur qui quitte le groupe pourra continuer de l’occuper. Le retrait d’un siège n’est pas un acte de vengeance ni une punition. Il vise simplement à respecter le processus et doit s’appliquer au cas par cas.

J’ajouterais que c’est la même chose lorsqu’un sénateur se joint à un groupe après que les sièges des comités aient été attribués, comme ce sera le cas lorsque de nouveaux sénateurs seront nommés, probablement dans les semaines à venir.

Si, parmi les nouveaux sénateurs qui seront nommés, certains se joignent au Groupe des sénateurs indépendants, je suis certain que les nouveaux dirigeants du groupe feront tout en leur pouvoir pour trouver des sièges pour ces sénateurs en fonction des intérêts de ces derniers. Ce processus interne exigera également des négociations et il devra être bien défini et tenir compte de la collégialité du Sénat.

Vous vous souviendrez que, lors du débat de mardi soir, certains sénateurs n’appuyaient pas mon point de vue quant à l’existence d’un processus d’attribution des sièges entre les groupes au moyen de négociations. Pour ces sénateurs, l’attribution des sièges au sein des comités ne se fait pas par l’entremise des groupes; les sièges sont directement attribués aux sénateurs par le Sénat. Par conséquent, un siège ne revient pas au groupe d’un sénateur si ce dernier décide de quitter le groupe en question. Je pense que certains de nos nouveaux collègues ont peut-être un peu de difficulté à comprendre ce raisonnement, alors je vais l’expliquer. Par contre, je crois que cela devra attendre après la pause du souper, parce que le Président devrait se lever d’une seconde à l’autre pour nous rappeler l’heure.

Son Honneur le Président : Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Par conséquent, la séance est suspendue jusqu’à 19 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1900)

Deuxième rapport du comité—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur MacDonald, appuyée par l’honorable sénateur Smith, tendant à l’adoption du deuxième rapport (provisoire) du Comité de sélection, intitulé Durée de la composition des comités, présenté au Sénat le 2 décembre 2021.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, lorsque je vous ai laissés aller calmer votre faim, j’étais en train d’expliquer la différence entre ma façon de voir la façon dont les sièges au sein des comités sont attribués et celle des sénateurs qui ne pensent pas comme moi. Si vous avez du mal à comprendre le point de vue de ceux qui ne pensent pas comme moi, je vous l’explique : peu importe les ententes négociées entre les groupes et les caucus et peu importe la façon dont cette entente est décrite dans le rapport du Comité de sélection, le Sénat doit ultimement donner sa bénédiction pour que le rapport et l’entente soient mis en œuvre.

L’argument que différents sénateurs ont présenté mardi soir était : « Non, non, non. Les groupes n’ont rien à voir avec l’attribution des sièges; c’est le Sénat qui attribue les sièges au sein des comités. »

Or, laissez-moi vous poser une question : est-ce que c’est le Sénat dans son ensemble qui a participé à la négociation de l’entente? Est-ce le Sénat dans son ensemble qui a établi les critères permettant de choisir un sénateur plutôt qu’un autre pour une place au sein de tel comité? Est-ce le Sénat dans son ensemble qui a établi le processus permettant de régler les désaccords concernant les places au sein d’un comité donné? Bien sûr que non. Cette tâche ardue revient aux groupes et aux caucus. Qu’on le veuille ou non, ce sont les groupes qui ont établi le mécanisme d’attribution des sièges aux sénateurs.

En fait, c’est la raison d’être du Comité de sélection. C’est un moyen de présenter officiellement au Sénat les ententes conclues entre les groupes et les caucus. Dire ensuite qu’un sénateur n’a aucune responsabilité envers le groupe parce que c’est le Sénat qui a pris la décision finale équivaut, au mieux, à une esquive ou, au pire, à un manquement au devoir.

C’est un peu comme si on disait qu’il est inutile de payer une commission à la maison de courtage immobilier sur la maison pour laquelle elle vous a aidé à négocier un prix avantageux parce que la décision finale de vendre la maison a été prise par l’ancien propriétaire.

Cela dit, si vous n’êtes toujours pas convaincu, imaginez un scénario où le Sénat rejetterait un rapport du Comité de sélection sur la composition des comités. En fait, pensez à ce qui serait arrivé si le Sénat avait rejeté le premier rapport du Comité de sélection la semaine dernière. Croyez-vous que le Sénat se formerait alors en comité plénier pour tenter de décider qui siégera à quel comité? Bien sûr que non.

Ce qui se passerait, c’est que les groupes et les caucus seraient obligés de négocier à nouveau pour conclure une nouvelle entente sur la répartition, entre leurs membres, des sièges aux comités. Puis, ils devraient présenter cette nouvelle entente au Comité de sélection sous forme de rapport à déposer au Sénat.

On ne peut nier le fait que les sièges de comité font l’objet de négociations entre les groupes, et le processus pour attribuer les sièges aux sénateurs se déroule ensuite au sein de chacun de ces groupes. En ce sens, un siège de comité appartient au groupe et non à un sénateur.

Je ne dis pas qu’il faut favoriser les groupes au détriment des personnes. Je ne fais que décrire la façon dont les sièges de comité sont attribués au Sénat.

Chers collègues, je reconnais qu’il est possible de faire valoir que la transférabilité est une question d’indépendance, comme l’ont fait nos collègues du Groupe progressiste du Sénat. Toutefois, c’est une question d’indépendance uniquement dans les situations où les sénateurs tiennent à se décharger de toute responsabilité envers le groupe dont ils ont obtenu le siège. En effet, ces sénateurs pensent qu’ils ont le droit absolu de siéger à ce comité, peu importe la manière dont le siège a été obtenu. Ils oublient que d’autres sénateurs ont été privés de ce siège parce qu’ils doivent aussi respecter le protocole convenu relativement à l’attribution des sièges au sein du groupe.

À mon avis, toutefois, ce n’est pas une question d’indépendance sénatoriale, mais de libertarianisme sénatorial.

Pour la plupart des observateurs de l’extérieur du Sénat, ce débat est obscur et semble en apparence insignifiant. Je pense toutefois qu’il soulève d’importantes questions sous-jacentes sur ce que signifie avoir un Sénat plus indépendant.

Une bonne façon d’entreprendre l’examen de cette question, c’est de songer à la phrase employée par le sénateur Mercer et la sénatrice Cordy : le groupe est au service du sénateur, et non l’inverse. C’est une trouvaille qui est presque aussi bonne que l’expression « un sénateur ne peut être autre chose qu’un sénateur ». Mais qu’est-ce que cela signifie?

Est-ce que cela signifie que les sénateurs rejoignent un groupe uniquement dans le but d’en tirer des avantages qui sont distribués par le Sénat par l’intermédiaire du groupe? Est-ce que le but de faire partie des conservateurs, du Groupe des sénateurs indépendants, du Groupe des sénateurs canadiens ou du Groupe progressiste du Sénat, c’est avant tout afin d’obtenir un siège à un comité? Est-ce que c’est de faire partie de l’exécutif d’une association parlementaire? De pouvoir voyager à l’étranger? D’avoir accès à un bureau de premier choix dans l’édifice de l’Est ou l’édifice Victoria? Est-ce ce qu’on veut dire par « le groupe est au service des sénateurs »?

Chers collègues, n’est-il pas concevable, ou même souhaitable, qu’un sénateur considère que servir les intérêts du groupe fait partie de sa participation à ce groupe? Sommes-nous devenus si atomistiques et égocentriques que nous ne nous considérons que comme des sénateurs indépendants sans aucune responsabilité envers un collectif?

Est-ce que le Sénat de l’avenir sera uniquement constitué de plateformes destinées à aider leurs membres à exécuter des transactions? Cela me semble être une vision très superficielle, et plutôt égocentrique, de la réforme du Sénat.

Je trahis peut-être mes racines culturelles, mais je crois en l’importance et en la valeur d’un collectif, de même qu’en la responsabilité qui découle de l’appartenance à un groupe. Je me suis joint à un groupe non seulement pour ce que ce groupe pouvait faire pour moi, mais aussi parce qu’il me donnait l’occasion de devenir un meilleur sénateur en travaillant avec des personnes aux vues similaires.

Nous arrivons à la section de mon discours où certains d’entre vous se diront : « Le sénateur Woo veut nous ramener au temps détestable des caucus. » Puisque je suis le facilitateur sortant du Groupe des sénateurs indépendants, ce que je dis n’a que peu d’effet sur la future direction que prendra mon groupe. Quoi qu’il en soit, l’argument croque-mitaine voulant que des groupes plus forts se traduisent par un comportement de caucus abusif n’est qu’un autre leurre.

Je comprends que certains sénateurs se remettent encore du stress post-traumatique du comportement de caucus abusif. Il est néanmoins tout à fait possible que les sénateurs prennent leurs propres décisions à l’égard des projets de loi et des motions tout en appartenant à un groupe qui favorise la collaboration en fonction de l’équité, du respect et de la décence. C’est d’ailleurs ainsi que je vois le Groupe des sénateurs indépendants. Le fait d’appartenir à un groupe très structuré n’est pas contraire à l’indépendance du Sénat, à l’équité, au respect, à la collaboration et aux pratiques démocratiques.

(1910)

J’ai donc été troublé d’entendre la sénatrice Cordy insinuer qu’il y avait une mauvaise intention derrière le rapport du Comité de sélection dont nous sommes saisis. Elle laisse entendre qu’en appuyant ce rapport, le Groupe des sénateurs indépendants tente d’empêcher les sénateurs d’être plus indépendants. Je rejette catégoriquement cette insinuation. Comment l’équité peut-elle être contraire à l’indépendance? En respectant l’équité procédurale, les sénateurs n’exercent-ils pas une forme d’indépendance qui vient avec son lot de responsabilités?

Certains d’entre vous estiment probablement que la transférabilité est une condition nécessaire pour un Sénat plus moderne et indépendant, ce qui les pousse à voter contre l’adoption du rapport. Je crois que le terme « transférabilité » a quelque chose d’attrayant. Il a une connotation positive qui semble s’accorder avec l’idée d’indépendance. D’ailleurs, je peux concevoir des situations où la transférabilité serait le modèle à privilégier pour l’attribution des sièges des comités. Cependant, cela ne veut pas dire que la transférabilité convient à tous les modes d’attribution des sièges aux comités, et ce n’est certainement pas le cas pour le modèle que nous employons actuellement.

En fait, lorsque la transférabilité ne cadre pas avec l’équité, je crois que l’équité devrait prévaloir. Voici une autre façon de voir les choses. Est-ce que le droit de demeurer au sein du comité de votre choix l’emporte sur la responsabilité envers le groupe qui vous a attribué le siège? Votre réponse à cette question dépend du poids que vous accordez aux droits individuels comparativement aux droits du groupe. Il s’agit d’un vieux problème philosophique. J’accepte le fait que certains d’entre vous accordent la priorité aux droits individuels, car c’est de bonne guerre, mais je n’accepte pas que le rapport mine l’indépendance du Sénat ou l’égalité des sénateurs.

Passons au prochain faux-fuyant. Que faut-il penser du fait que les règles existantes autorisent la transférabilité? Les intervenants précédents ont souligné que la transférabilité est une pratique sénatoriale vieille de plusieurs décennies et ils ont raison. Mais défendre la transférabilité parce qu’elle est liée à la tradition, ce n’est pas du tout la même chose que de la défendre parce qu’elle est logique. En toute déférence, j’ai beaucoup entendu parler les sénateurs de l’importance de respecter une pratique traditionnelle, mais ils en ont dit très peu sur les raisons qui font que cette pratique est sensée dans le contexte actuel, étant donné la manière dont on attribue les sièges aux sénateurs. Il semble qu’ils plaident en faveur de la tradition par amour pour la tradition, ce qui est une position étrange à adopter pour des sénateurs qui se disent pour la modernisation.

En fait, dire que la transférabilité est une bonne chose simplement parce qu’elle fait partie des règles actuelles, ce n’est pas présenter un argument : c’est décrire le statu quo. Si vous êtes en faveur de la modernisation, vous devez être ouvert à l’idée que certaines de nos règles ne sont pas adéquates. L’article 12-2(3) sur la transférabilité fait partie des règles qu’il serait grand temps de réexaminer.

Je trouve encore plus étrange que les partisans de l’article 12-2(3) ne parlent généralement pas de l’article 12-5. Je me permets de fournir ici quelques détails techniques. Selon l’article 12-5, le remplacement d’un sénateur membre d’un comité peut être fait au moyen d’un avis signé par le leader d’un caucus ou d’un groupe, que le sénateur quitte le caucus ou le groupe ou non. Si on évalue laquelle des règles permet les gestes les plus sévères, l’article 12-5 l’emporte sûrement sur l’article 12-2(3). Il fait toutefois partie du Règlement, et ce, depuis au moins aussi longtemps que l’article 12-2(3). Dans les faits, la transférabilité ne serait d’aucune utilité à un sénateur qui se ferait retirer son siège au comité avant de quitter son groupe.

Je ne dis pas que je suis favorable à l’article 12-5 ou que je veux me porter à sa défense. Cependant, j’attire votre attention sur les incohérences dans les arguments invoqués. En effet, on fait preuve de dogmatisme lorsqu’il s’agit de défendre la règle de la transférabilité, mais on demeure muet sur le caractère potentiellement plus insidieux de la règle parallèle, l’article 12-5. En fait, la sénatrice Cordy a allégué récemment que l’article 12-5 constitue une exception acceptable à la durée du mandat énoncé à l’article 12-2(3). Ce qui revient à dire que si l’on s’inquiète vraiment que des sénateurs puissent envisager de quitter un groupe tout en conservant leur siège, il faut alors leur retirer ce siège avant qu’ils ne passent à l’acte.

Même si l’on adoptait la position plus actualisée que la sénatrice Cordy a présenté jeudi — quand elle a indiqué être ouverte à revoir l’article 12-5 —, on ne peut que se demander comment elle arrivera à défendre l’article 12-2(3) sous prétexte qu’il est ancré dans la tradition tout en contestant l’article 12-5, qui l’est tout autant.

Je tiens à préciser que je ne suis pas contre le principe de la transférabilité. En fait, je pense à un scénario où la transférabilité des comités serait justifiée parce que cela n’enfreint ni l’intégrité ni l’équité de la répartition des sièges entre les sénateurs. Ce scénario reposerait sur une composition des comités fondée sur l’ensemble du Sénat plutôt que sur les négociations entre les groupes. Dans cette situation, on pourrait défendre l’idée que les sénateurs conserveraient leur siège jusqu’à la fin de la session. Cependant, ce n’est pas la manière dont les sièges sont attribués à l’heure actuelle.

La transférabilité, voyez-vous, est un concept attrayant. Je dirais même que c’est un concept séduisant, mais il faut qu’il soit adapté à l’objectif. Nous pourrons peut-être évoluer vers un processus de sélection mieux adapté à la transférabilité, mais nous en sommes encore loin. Entre-temps, nous devrions concevoir des règles adaptées aux circonstances concrètes de nos pratiques au lieu d’une version idéalisée de ces éventuelles pratiques.

En résumé, bien que certains veulent que ce rapport porte sur l’indépendance du Sénat et l’autonomie des sénateurs, la réalité moins glorieuse est que l’attribution des sièges aux comités est un problème de rareté courant qui doit être résolu par la négociation. Les négociations ne fonctionnent que si les parties respectent les règles de l’entente négociée ainsi que les résultats et les procédures qui ont mené à ces résultats.

S’il y a un principe en jeu dans cette motion, ce rapport et ce débat, c’est le principe de l’équité procédurale. Les sénateurs n’ont pas un droit divin à un siège donné au sein d’un comité. Ils obtiennent un siège dans un comité particulier lorsqu’ils participent volontairement à un processus de groupe qui aboutit à un résultat favorable pour eux, mais au détriment d’autres sénateurs. S’ils quittent ce groupe, le siège ne devrait pas les suivre. C’est l’intention du rapport du Comité de sélection sur lequel nous avons été invités à nous prononcer et c’est la raison pour laquelle je l’appuie. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Dennis Glen Patterson : Puis-je poser une question?

Son Honneur le Président : Sénateur Woo, il y a des sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Accepteriez-vous d’y répondre?

Le sénateur Woo : Oui, bien sûr.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie, sénateur Woo, de votre discours réfléchi et érudit. Le libertarianisme sénatorial : je dois retenir cette expression.

Vous avez loué le système d’attribution des sièges au sein des comités sénatoriaux. Or, celui-ci englobe aussi la question fort importante de la sélection de présidents et de vice-présidents. Il va sans dire qu’il n’est pas facile d’être président ou vice-président d’un comité. Il faut posséder une solide compréhension du processus parlementaire, adopter une approche équilibrée et respectueuse, et faire régner l’ordre au sein du comité. Pourtant, de tout nouveaux sénateurs ont été nommés à des comités importants, alors qu’ils n’avaient aucune expérience des enjeux liés au processus parlementaire.

Sénateur Woo, croyez-vous que le processus de sélection actuel, et plus particulièrement celui des présidents et des vice-présidents, est fondé sur le mérite ou qu’il est fondé davantage sur l’appartenance à un groupe et à la popularité d’un sénateur au sein de ce groupe, sans égard à l’expérience et au mérite?

Le sénateur Woo : Sénateur Patterson, je vous remercie de votre question. Je ne peux pas parler au nom de votre groupe, mais je peux vous affirmer que le Groupe des sénateurs indépendants a recours à un processus démocratique pour désigner les présidents et les vice-présidents au moyen des négociations avec les membres des comités en question. Ils savent que les critères importants touchent aux compétences. Ils ont à voir avec la capacité de présider des réunions. Ces compétences relèvent de l’expérience concrète acquise dans la vraie vie.

(1920)

J’ai entièrement confiance que le Groupe des sénateurs indépendants rend des décisions judicieuses au moment de choisir les présidents et les vice-présidents.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare : Le discours que nous avons entendu de la part du sénateur Woo était très convaincant. Il a beaucoup de facilité avec les mots, mais j’aimerais lui poser une question qui fait suite à l’identification du problème suivant : il semblerait que tout le problème soit issu du fait qu’il y a une demande excédentaire pour certains sièges de comités et que, donc, quand un sénateur quitte un groupe, il porterait atteinte au privilège d’un autre de ses collègues, car il quitte le groupe avec son siège.

Habituellement en économie, un problème relatif à une demande excédentaire se règle par une question d’offre. On augmente les offres. Le problème que nous avons avec la demande excédentaire n’a rien à voir avec la solution que le sénateur Woo nous propose d’adopter, c’est-à-dire de restreindre la mobilité des sénateurs pour régler ce problème de demandes excédentaires.

Êtes-vous d’accord avec moi, sénateur Woo, pour dire qu’il y a une autre règle qui existe pour un comité ou un groupe qui se sentirait lésé par le départ d’un sénateur? C’est l’article 12-2(4) du Règlement qui stipule que c’est le Sénat qui attribue les sièges de comités et qui peut enlever un siège à un sénateur. L’article 12-2(5) du Règlement, que vous avez cité, vise à changer la composition des comités quand les sénateurs du groupe sont d’accord. Quand un sénateur ne peut pas être là pendant une journée, il doit avoir un remplaçant. C’est cette règle qui est simplement administrative. Pourquoi ne pas utiliser l’article 12-2(4) quand il y a un problème relatif à la mobilité, si un sénateur quitte un groupe et qu’on croit que son groupe a été lésé?

[Traduction]

Le sénateur Woo : Merci, sénatrice Bellemare.

Ceux parmi nous qui sont unilingues auront remarqué qu’il y a eu des problèmes d’interprétation, mais je crois que j’ai bien compris la question. Je vais répéter la question telle que je l’ai comprise.

La sénatrice Bellemare demande s’il n’y aurait pas un autre moyen de régler le problème dont j’ai parlé et qu’on pourrait qualifier de problème d’équité procédurale. Ce problème survient lorsqu’un sénateur décide de quitter son groupe et que la demande au sein de ce groupe est forte. Plutôt que d’empêcher la transférabilité, pourquoi ne pas laisser le Sénat exercer son pouvoir au moyen de l’article 12-2 du Règlement afin de nommer un autre sénateur de façon à corriger le déséquilibre causé par le fait que le titulaire du siège a quitté son groupe? J’espère, sénatrice Bellemare, avoir correctement résumé votre question.

La réponse à cette question est que, concrètement, vous proposez qu’il y ait une renégociation. C’est ce que c’est, au fond. Si vous dites que, chaque fois qu’un sénateur membre d’un comité quitte son groupe, la façon de rétablir l’équilibre concernant le groupe qui vient de perdre un sénateur en général serait que le Sénat intervienne, alors vous proposez essentiellement que le Sénat dans son ensemble trouve une solution pour combler les places libres en l’absence d’une solution établie. Je suis certain que le résultat auquel on arriverait serait une renégociation de l’ensemble des sièges des comités.

Il se pourrait que, dans des circonstances spéciales, pour atténuer les conséquences lorsqu’une personne doit abandonner son siège, le Sénat convienne à l’unanimité de nommer une autre personne à ce siège. Toutefois, si cela s’avère impossible, le problème que j’ai décrit plus tôt survient, c’est-à-dire que le Sénat serait forcé de se former en comité plénier pour tenter de résoudre un problème idéalement résolu au sein des groupes et entre les groupes.

Voilà pourquoi, sénatrice Bellemare, je ne crois pas que l’article 12-2 du Règlement soit la solution au problème de la transférabilité.

La sénatrice Bellemare : J’ai une question complémentaire.

Ma question portait sur l’idée qu’il est très difficile d’intervenir dans le paradigme du sénateur Woo selon lequel le siège appartient au groupe, le groupe négocie et le sénateur n’a pas voix au chapitre, ni le Sénat d’ailleurs.

En vérité, dans l’ancien système, si une règle protégeait l’indépendance, c’était bien la règle de la transférabilité.

Par conséquent, ma question complémentaire à l’intention du sénateur Woo est la suivante : que serait le Sénat s’il était plus indépendant et moins partisan, comme y aspire le Groupe des sénateurs indépendants selon sa charte? Comment imaginez-vous un scénario où un sénateur porterait atteinte au privilège en exécutant son travail au Sénat de manière indépendante?

Le sénateur Woo : Merci de la question. Je veux remercier la sénatrice Bellemare de chercher sans cesse des façons de moderniser le Sénat et de le rendre plus indépendant. C’est l’une des personnes qui se livrent aux réflexions les plus profondes sur ces enjeux, et je tiens à la saluer.

Avant de répondre à sa question, je veux rejeter l’une de ses prémisses. Elle a affirmé que le processus de négociation et le processus d’attribution des sièges des groupes excluaient essentiellement les sénateurs de la prise de décisions. Cette prémisse est fausse à deux égards.

Premièrement, je suis le porte-parole du Groupe des sénateurs indépendants. Les membres du groupe ont établi la marche à suivre, et je m’y soumets. Les membres se sont entendus sur la marche à suivre, et ils ont demandé aux facilitateurs et au secrétariat de l’administrer pour avoir leur mot à dire dans son établissement.

Deuxièmement, après avoir établi la marche à suivre, les membres ont ensuite indiqué au sein de quels comités ils voulaient siéger. Je suis sûr que les autres groupes procèdent de façon semblable. Les membres précisent leur premier choix, puis leur deuxième et ainsi de suite. Les membres du Groupe des sénateurs indépendants ont donc vraiment eu leur mot à dire.

Ils se sont ensuite conformés aux règles qu’ils avaient définies — du moins, bon nombre d’entre eux parce que ce ne sont pas tous les membres qui étaient présents à ce moment. Je dirais, cependant, que la majorité des membres du Groupe des sénateurs indépendants ont contribué à l’établissement de ce processus, puis ont participé à ce dernier.

Voilà pourquoi il faut suivre le processus de manière respectueuse et responsable.

Avant de répondre à votre question, j’aimerais soulever un deuxième point : même si j’ai décrit une sorte de logique implacable selon laquelle un sénateur doit abandonner son siège lorsqu’il quitte un groupe, vous m’avez peut-être entendu dire que cette logique n’a pas à être appliquée chaque fois qu’un sénateur quitte un groupe. En fait, il pourrait — et il devrait — y avoir de nombreuses circonstances faisant en sorte que lorsqu’un sénateur quitte un groupe — je ne peux me prononcer qu’au sujet du GSI —, on ne lui demanderait pas d’abandonner son siège parce qu’il n’y a pas une grande demande au sein du GSI, ou peut-être parce qu’il existe des arguments tellement convaincants justifiant sa présence à ce comité qu’il n’est pas nécessaire d’invoquer la règle de la non-transférabilité.

Mais c’est le principe de non-transférabilité qu’il faut invoquer, car c’est ainsi qu’on assure l’intégrité du système.

Je vais maintenant répondre à votre question sur l’indépendance accrue du Sénat. C’est une question très importante, bien entendu, et je crois en avoir abordé certains aspects, mais permettez-moi de répéter mon point central : il n’y a pas d’incompatibilité entre un groupe homogène, qui a de solides règles de procédure et de conduite — aucune contradiction avec un groupe qui applique sa procédure avec discipline et rigueur — et le fait que les sénateurs puissent voter de façon indépendante, à leur guise, dire ce qui leur plaît et présenter des motions et des projets de loi. Il n’est pas incompatible d’avoir des groupes qui ont du poids et des sénateurs qui ont du poids. C’est fondamentalement le principe que j’essaie d’expliquer.

(1930)

Certaines personnes pensent que le poids des groupes affaiblit les droits individuels des sénateurs. C’est l’argument que nous avons entendu. Un groupe sert les intérêts du sénateur; le sénateur n’est pas là pour servir les intérêts du groupe. De toute évidence, il faut en arriver à un équilibre. Cependant, si vous voulez connaître ma position, je préfère des groupes efficaces dont le fonctionnement repose sur des principes rigoureux qui préservent l’indépendance et l’égalité des sénateurs.

L’honorable Marilou McPhedran : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Woo?

Le sénateur Woo : Oui.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie. J’aimerais revenir sur un point que j’ai soulevé dans mon discours hier soir. D’ailleurs, je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de communiquer avec moi pour me dire que vous aviez écouté mon discours. Vous vous souviendrez sûrement que j’ai fait référence à la décision de la présidence sur l’article 12-5. Je ne reviendrai pas sur tous les détails, mais il y a un point important que je vous demanderais d’interpréter, en tenant compte de votre position sur l’appropriation par le groupe de la position individuelle d’un sénateur. Vous disiez que si un sénateur se retire d’un caucus, l’article 12-5 du Règlement ne s’appliquera plus. Ce sénateur continuera de siéger aux comités dont il fait partie à moins qu’il en soit retiré par l’adoption, par le Sénat, d’un rapport du Comité de sélection ou d’une motion de fond.

Le sénateur Woo : Merci d’avoir posé cette question et d’avoir accepté notre offre de siéger au Comité des pêches. J’ai été peiné d’apprendre hier soir que vous n’aviez obtenu aucun siège à un comité. J’avais cru comprendre que, dans le cadre des négociations, tous les groupes s’occupaient des sénateurs non affiliés. Aussitôt que je m’en suis rendu compte, je vous ai offert quelques options et je suis heureux que vous ayez accepté l’une d’elles.

Pour répondre à votre question, j’interprète peut-être mal le Règlement, mais si nous adoptons le rapport du Comité de sélection, je crois que cette application ne serait plus possible parce qu’un sénateur nommé à un comité sous les auspices d’un groupe serait soumis à la non-transférabilité du siège. Bien sûr, c’est au Sénat de prendre cette décision, et je ne préjugerai pas du résultat du vote sur ce rapport.

Son Honneur le Président : Sénateur Woo, votre temps de parole est presque écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus? Je vois que d’autres sénateurs souhaitent poser des questions.

Le sénateur Woo : Oui, avec le consentement du Sénat.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui s’opposent à cette demande veuillent bien dire non.

La sénatrice McPhedran : Je reviens, à la lumière de votre interprétation, sur notre correspondance. Je vous ai répondu en vous indiquant que si j’acceptais votre offre, dont je vous suis très reconnaissante, celle-ci serait soumise aux règles actuelles parce que nous n’avons pas encore voté. Ainsi, pouvez-vous m’expliquer de quelles conditions s’assortit, selon vous, l’offre que vous m’avez faite?

Le sénateur Woo : J’hésite à parler de ma correspondance privée, mais comme vous me le demandez, allons-y. Je pense que je vous ai dit que nous serions heureux de vous donner un siège, et que cela dépendrait des décisions prises collectivement par le Sénat sur la transférabilité ou non des sièges.

D’après moi, cela signifie que si ce rapport est adopté, alors les sièges resteraient affiliés au groupe, même si vous décidez de partir.

Je suis aussi certain d’avoir dit dans mon courriel — et je ne veux pas dire que c’est extraordinaire — que nous ne devrions pas nous attendre à enlever des sièges à la légère. En fait, je m’attends à la chose suivante : si vous choisissiez de faire quelque chose de différent, et que la question d’attribuer votre siège se posait, nous vous en parlerions et nous chercherions à vous trouver un autre siège. Mais l’occasion ne se présenterait que si par exemple un nouveau membre arrivait au Sénat et que cette personne avait une expertise exceptionnelle dans le domaine des pêches, plus exceptionnelle que celle du sénateur Manning, et qu’elle se joignait à notre groupe. En admettant que cette personne veuille absolument participer au Comité des pêches, dans ce cas, nous pourrions vous demander : « Sénatrice McPhedran, pouvons-nous essayer de trouver une solution? »

Il ne s’agit pas là de punition ou de vengeance. Il ne s’agit pas d’un abus de pouvoir. Il s’agit de trouver des solutions. Nous voulons tous trouver des solutions, mais nous avons besoin d’outils pour y parvenir, et je pense que le rapport du Comité de sélection nous donne un de ces outils.

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) : Honorables sénateurs, je n’avais pas l’intention de participer au débat, mais je dois admettre que l’intervention du sénateur Woo m’a incité à le faire. Bien sûr, il se peut même que nos collègues soient choqués et surpris d’apprendre aujourd’hui qu’il s’agit d’une de ces rares occasions où nous sommes du même avis. Qui sait? Cela pourrait devenir une habitude, sénateur Woo.

Chers collègues, je souhaite vous faire part de certaines de mes réflexions sur cette question particulière. Comme je l’ai dit, je n’aime pas généralement débattre au Sénat de questions qui ont trait à la structure, aux activités et aux règles. Ce n’est pas notre rôle au Sénat. Notre rôle consiste à contribuer au discours public de l’heure; à parler de motions, d’interpellations et d’études; à procéder à un second examen objectif des projets de loi; et à avoir le courage de présenter des projets de loi d’initiative parlementaire réfléchis au nom de groupes qui n’ont pas l’occasion de se faire entendre à l’autre endroit pour diverses raisons.

Je dois dire que je fais partie des sénateurs qui sont arrivés ici il y a déjà plusieurs années. En tant que parlementaire débutant nommé par le premier ministre Harper, j’ai eu la chance d’apprendre en écoutant quelques géants du processus parlementaire : le sénateur Pierre Claude Nolin, paix à son âme, et des gens comme le sénateur Hugh Segal, le sénateur Lowell Murray, le sénateur Jim Cowan, le sénateur Serge Joyal et le sénateur George Furey, qui est toujours parmi nous et occupe avec brio la fonction de Président. Je peux vous dire qu’à mon arrivée au Sénat, il y avait des débats approfondis et réfléchis sur les politiques publiques. Nous avions des divergences d’opinions, bien sûr. Il y avait les conservateurs d’un côté — nous étions de ce côté-là, à l’époque — et l’opposition libérale de l’autre. Les débats étaient un peu partisans, mais pas aussi partisans que le disent certains des sénateurs indépendants qui parlent des bonnes vieilles batailles d’antan. Nous passions peu de temps à nous regarder le nombril; nous passions peu de temps à nous plaindre des façons de faire et des rouages du Sénat.

Le modèle de Westminster est fondé sur des groupes, c’est ainsi qu’il est conçu. Quel que soit le pays, il compte généralement divers groupes politiques. Dans les divers Parlements, il y a le côté du gouvernement, le côté de l’opposition et un certain nombre d’indépendants. À mon arrivée, le Sénat comptait aussi quelques sénateurs indépendants. Nous avons fait certains ajustements pour eux, par bonne volonté.

Dans tous les Parlements inspirés de Westminster, il y a des groupes parce que l’on veut éviter l’engorgement que nous vivons en ce moment dans cette enceinte. La même chose s’est produite à quelques reprises depuis 2016. Il y a lieu de se poser la question : qu’est-ce que nous passons toutes ces heures à essayer de résoudre? En effet, je peux vous dire qu’en 2015, c’est une campagne électorale qui a mis fin à cette terrible ancienne façon de faire les choses au Sénat, lequel était très partisan et composé de libéraux et de conservateurs. Ce Sénat moins partisan a été créé lorsque le gouvernement de l’époque a imposé à l’institution un changement structurel par le biais d’un discours politique, d’une élection. Le premier ministre s’est adressé à l’électorat en disant : « Je veux créer un Sénat moins partisan et je veux le rendre plus indépendant. »

Nous avons respecté la volonté démocratique de l’époque, car la tradition du Sénat en voulait ainsi. Les premiers sénateurs nommés par le premier ministre Trudeau se souviendront que les caucus libéral et conservateur ont fait des pieds et des mains pour trouver des places en comité pour ces sénateurs et pour modifier les règles au mieux de nos capacités afin de les aider à créer de nouveaux groupes. Et cela a été fait par pure bonne volonté, ni plus ni moins.

Malheureusement, vous savez tous ce que je pense de ces changements que le premier ministre Trudeau nous a imposés sans même penser à une stratégie ou à une marche à suivre, mais nous avons fait de notre mieux pour déterminer la voie à suivre. Je vous rappelle que c’est encore une institution parlementaire et démocratique. Au Sénat, il y a un problème qui dure depuis 154 ans. Nous ne sommes pas élus tous les quatre ans. Nous n’avons pas de comptes à rendre à l’électorat tous les quatre ou cinq ans. L’inamovibilité est un grand privilège. Elle confère une indépendance encore plus importante que lorsqu’on se contente de se dire indépendant parce qu’on n’est pas affilié ou parce qu’on n’est pas membre d’un parti. Vous resterez ici jusqu’à l’âge de 75 ans. C’est le privilège le plus extraordinaire qu’on puisse avoir. Par ailleurs, même avant la création du nouveau Sénat indépendant, cette institution avait un problème de reddition de comptes et de transparence envers le public. Le simple fait de dire que nous sommes maintenant indépendants n’a pas soudainement réglé ce problème. Nous avons encore comme problème de ne pas être toujours compatibles avec les résultats démocratiques.

(1940)

Dans les deux dernières élections, le Parti conservateur du Canada a obtenu la pluralité des voix auprès de l’électorat canadien.

Une voix : On n’en entend pas beaucoup parler.

Le sénateur Housakos : Non seulement on n’en entend pas beaucoup parler, mais un groupe de l’opposition officielle du Sénat continue de rapetisser en termes de proportionnalité. Comme la tradition le veut, le premier ministre a la prérogative de nommer les sénateurs; la tendance continue donc de s’amplifier. À travers l’histoire, les sénateurs ont toujours été nommés par les libéraux ou par les conservateurs. Les premiers ministres libéraux nomment habituellement des sénateurs aux vues libérales. S’ils ne sont pas libéraux, ils sont indépendants et certainement progressistes ou de centre gauche. On ne s’attendrait à rien de moins. Les premiers ministres conservateurs nomment habituellement des sénateurs aux vues conservatrices légèrement au centre droit, ce qui est aussi très bien.

Nous savons donc en arrivant au Sénat qu’il s’agit plus ou moins des valeurs qui nous définissent, autant que notre discours. Il arrive très rarement qu’un premier ministre nomme un sénateur aux vues diamétralement opposées aux siennes. Encore une fois, le privilège de la fonction lui en accorde le droit.

Nous sommes dans une situation où des groupes — et je me lance dans un long prélude — représentent les sénateurs. Nous menons les négociations, en réglant les détails de la représentation au sein des comités, pour assurer le bon fonctionnement du Sénat. Peu importe nos allégeances politiques, sans la coopération entre les groupes... Ces dernières semaines, je comble un grand vide laissé par le sénateur Plett en occupant le poste de leader suppléant, et c’est beaucoup de travail. C’est beaucoup de travail de discuter avec les leaders des autres groupes dans un souci d’équité, en essayant de ne pas orienter ou définir les débats. Il y a de nombreux désaccords entre le sénateur Gold, le sénateur Woo, la sénatrice Cordy, le sénateur Tannas et moi, mais nous avons l’objectif d’assurer le fonctionnement du Sénat afin que nous ayons des débats cohérents. Chacun a la possibilité de prendre la parole, de défendre son point de vue, de persuader ses collègues et de faire progresser les dossiers. Jusqu’à maintenant, je suis d’avis que nous ne nous en sortons pas trop mal en cette législature.

Cependant, nous ne faisons pas un excellent travail lorsque nous consacrons des heures sur ce genre de sujets. J’ai écouté attentivement le sénateur Mercer et la sénatrice Cordy. C’est toute une atteinte au privilège parlementaire au Sénat. Prenons deux exemples : le Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration et le Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Ce ne sont même pas des comités qui traitent de politiques publiques. Ils traitent de nos fonctions. Prenons un comité comme le Comité sénatorial sur l’éthique, qui nous touche tous potentiellement si jamais une question d’éthique se pose. Ce sont là trois exemples précis.

Lorsqu’un groupe nomme son représentant à l’un de ces comités, ces personnes ne représentent pas seulement leur expérience, leurs connaissances et leurs compétences personnelles, mais aussi leurs collègues. Imaginons que, demain matin, au cours d’une réunion du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration, le sénateur Marwah, qui est le président, le sénateur Campbell, qui est le vice-président et qui représente le Groupe des sénateurs canadiens, et le sénateur Dawson, qui est l’autre vice-président, décidaient de devenir soudainement des conservateurs. C’est très peu probable, je sais, mais peut-être que le sénateur Dawson glissera et se cognera la tête. Peut-être que les valeurs du sénateur Campbell prendront un virage radical lorsqu’il sera un peu plus âgé et passeront du centre gauche au centre droit. Tout ce que je dis, c’est qu’une fois que cet endroit sera devenu le Far West, ces personnes — et il ne s’agit pas d’une question d’atteinte à leur privilège ou de leur droit de transférer leur représentation au sein de ces importants comités — vont porter atteinte aux droits de chaque membre du groupe qui les a nommés à ce comité important.

Si les groupes se réunissent chaque semaine, c’est parce que les sénateurs ne peuvent pas participer à tous les comités sénatoriaux permanents. Je m’attends, du moins au comité directeur, à ce que quelques sénateurs représentent mes valeurs et mes opinions et me fassent part des signaux d’alarme dont je devrais être au courant chaque semaine. Si je souhaite exercer davantage mon privilège, je peux participer à n’importe quel comité sénatorial permanent, comme le sénateur Woo l’a souligné, et donner mon point de vue en tant que sénateur Housakos. Je peux participer à tous les comités même si je siège officiellement à trois d’entre eux. Voilà où le privilège entre en jeu.

Toutefois, du moment où l’on représente un groupe au Comité de l’éthique, au Comité de la régie interne ou au Comité du Règlement, on ouvre soudainement la porte à la dictature de la majorité, et le Sénat s’écroule. La bonne volonté que j’ai connue par le passé et dont j’ai parlé tout à l’heure disparaît. Soudainement, tout dépend de qui peut influencer le plus de sénateurs à se joindre à son groupe — le Groupe progressiste du Sénat, le Groupe des sénateurs canadiens ou le Groupe des sénateurs indépendants —, ainsi que de l’esprit d’indépendance. Tout cela pour quoi? Nous sommes ici pour défendre des valeurs et des politiques. Nous ne sommes pas ici pour mener une lutte territoriale ou pour gagner du terrain. Ce n’est pas pour cela que nous sommes ici.

Je crois que nous devons en être conscients, tout comme de ce que j’ai dit plus tôt au sujet de la reddition de comptes. Il faut devoir rendre des comptes à quelqu’un. On pourrait en discuter longtemps, mais sur le plan politique, dans notre démocratie, si les membres du caucus conservateur et moi faisons quelque chose, les médias iront frapper à la porte d’Erin O’Toole, le chef de l’opposition, pour lui dire qu’un membre de son caucus a enfreint telle ou telle règle. Nous avons eu des expériences de ce genre récemment. La voilà, notre reddition de comptes.

Honorables sénateurs, nous avons un problème, même avec ce nouveau modèle, et je n’y ai pas encore trouvé de solution. Ceux d’entre vous qui ont été nommés par le premier ministre Trudeau dans un esprit d’indépendance doivent rendre des comptes à quelqu’un. Vous devez à tout le moins rendre des comptes au groupe avec qui, de façon indépendante, vous avez choisi de siéger lorsque vous êtes arrivés au Sénat en fonction de certaines valeurs. Personne ne vous a obligé à vous joindre au Groupe des sénateurs indépendants, au Groupe des sénateurs canadiens ou au Groupe progressiste du Sénat. Personne non plus ne vous a obligé à vous joindre aux conservateurs, car personne ne l’a fait depuis que M. Trudeau a décidé d’accroître l’indépendance du Sénat.

Une voix : Quelles sont les chances?

Le sénateur Housakos : Les chances sont ce qu’elles sont. Le débat porte sur autre chose. Dans les faits, certains sénateurs changent de groupe aussi souvent que je change de cravate. Comment peut-on changer de valeurs du jour au lendemain? Qu’est-ce qui motive ces changements? Il faut appeler un chat un chat et parler honnêtement. La motivation vient du fait que lorsqu’un groupe prend de l’ampleur, il y a un jeu d’interactions entre les egos et les personnes qui font partie du groupe et recherchent des titres et des avantages. Nous savons ce qui motive le débat actuel. Cela n’a rien à voir avec les valeurs ou les discours politiques. Cela n’a rien à voir avec les intérêts des Canadiens que nous sommes ici pour servir. Les motivations en jeu sont égoïstes. Nous devons nous regarder dans le miroir et nous demander si c’est vraiment le genre de Sénat que nous souhaitons bâtir.

Je vous rappelle que nous ne sommes pas élus. Un mandat nous a été accordé par un premier ministre. Pour certains d’entre nous, la nomination a eu lieu au terme d’un processus de sélection réalisé par différents comités, mais il reste que chacun d’entre nous a reçu son mandat d’un premier ministre. Voilà le mandat démocratique que vous avez à remplir ici. Cela dit, les sénateurs sont généralement conscients qu’ils doivent faire fonctionner cette Chambre non élue en faisant preuve de respect, d’un esprit de collaboration, de tolérance et d’une volonté de faire des concessions. Comme je l’ai toujours dit, même dans ses pires moments de partisanerie — je pense notamment au Comité du Règlement, au Comité de la régie interne et au Comité sénatorial sur l’éthique —, il y a toujours eu consensus. Même pour ce genre de choses, les détails concernant les règles, les comités, les budgets et les titres, nous parvenons à nous entendre.

Puis, nous retournions au sein de nos caucus et nous réglions les détails entre nous. Les résultats ne plaisaient pas toujours à tout le monde, mais c’est dans la nature humaine. Depuis 2016, je n’ai jamais vu un aussi grand nombrilisme qu’en ce moment. Je crois que c’est une erreur. Nous devons respecter les groupes. Nous venons tout juste d’adopter à l’unanimité le projet de loi S-2 et nous l’avons renvoyé à la Chambre. Pourquoi l’avons-nous fait? Nous demandons aux contribuables de payer la note pour rémunérer davantage les leaders des groupes du Sénat. Comme vous le savez tous, les conservateurs avaient des réticences à cet égard. Toutefois, nous avons accepté qu’il y a eu des changements et que nous devons atteindre un consensus et assurer le bon fonctionnement du Sénat. Pourquoi avons-nous accordé autant de valeur aux différents groupes ici? Parce que nous respectons le choix des sénateurs de travailler au sein de ces groupes.

Honorables sénateurs, je demande simplement que nous cessions les manœuvres politiques et que nous arrêtions de nous tendre des pièges. Concentrons-nous plutôt sur le discours public, les politiques, les projets de loi, les motions et les interpellations. Cherchons d’abord et avant tout à faire du Canada un meilleur endroit pour les Canadiens. Merci.

Des voix : Bravo!

(1950)

Projet de loi de crédits no 4 pour 2021-2022

Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu’il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-6, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2022, accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 14 décembre 2021, à 14 heures.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Comité de sélection

Deuxième rapport du comité—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur MacDonald, appuyée par l’honorable sénateur Smith, tendant à l’adoption du deuxième rapport (provisoire) du Comité de sélection, intitulé Durée de la composition des comités, présenté au Sénat le 2 décembre 2021.

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je tiens dire à toutes les personnes présentes que je ne suis pas ici pour servir mes propres intérêts. Quand j’ai été nommée au Sénat, j’estimais que cette enceinte est vectrice de solutions. Je suis redevable aux Autochtones que je représente, et c’est à eux que je rends des comptes. Je collabore avec eux pour mettre à l’avant-plan les préoccupations des Autochtones.

Quand on décide de se joindre à un groupe, on le fait aveuglément. Si le jumelage n’est pas bon, la situation est toute aussi injuste pour le sénateur. Le Comité de sélection a-t-il examiné cette question ainsi que les répercussions sur les sénateurs non affiliés? Comprenez-vous où je veux en venir? On agit de manière aveugle en se disant : « D’accord, je vais joindre tel groupe. » Si le jumelage n’est pas bon, je devrai ensuite prendre une décision sur la suite des choses. Parce que les sénateurs ont le choix de demeurer dans un groupe ou de devenir non affiliés, les sénateurs non affiliés n’ont aucune protection. S’il s’agit d’un choix à leur disposition, dans quelle mesure le Comité de sélection s’est-il penché sur la question pour les aider durant cette transition? La période de transition d’un sénateur se termine quand il rejoint un groupe ou quand il forme un nouveau groupe.

L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition) : Merci, sénatrice McCallum. Selon moi, votre caractérisation de cette enceinte comme étant une pollution est un peu dure. Je pense que l’institution sert merveilleusement bien le pays depuis plus de 150 ans, ainsi que le Parlement. Comme nous l’avons dit à maintes reprises, le Canada n’est pas parfait. C’est une nation parfaitement imparfaite. Mais je pense quand même qu’elle est l’une des meilleures au monde, et ce, en grande partie grâce à ses institutions. Je n’accepterai donc pas la caractérisation de cette institution comme étant polluée ou ayant été polluée, pour être honnête. C’est ce que je crois avoir entendu.

Une voix : « Solution ».

Le sénateur Housakos : Ah oui, « solution ». Pardonnez-moi, sénatrice McCallum. Je me fais vieux et il se fait tard. J’avais cru entendre « pollution » et non « solution ». Cela m’étonnait, puisque je sais que vous faites des interventions très pertinentes et que vous apportez beaucoup au Sénat. J’étais donc un peu étonné.

Je reviens donc au sujet de votre question. Je m’excuse, chers collègues, il est tard et je suis fatigué. Je n’avais pas prévu participer au débat, comme je l’ai dit. Bref, je reviens à votre question, madame la sénatrice. Je suis au Sénat depuis 13 ans et chaque fois que nous avons accueilli un sénateur non affilié qui ne faisait pas partie d’un groupe ou d’un autre, à mon souvenir, nous avons toujours déployé beaucoup d’efforts pour répondre à ses besoins.

Nous l’avons fait dès le premier jour où les huit ou neuf premiers sénateurs non affiliés nommés par le premier ministre Trudeau sont arrivés au Sénat, en 2016. Ils n’avaient pas de groupe parce qu’ils n’étaient pas assez nombreux, et ils se butaient à l’hostilité du caucus libéral de l’époque dont les membres avaient été, on s’en souvient, exclus du caucus national. Pour sa part, le caucus conservateur avait des doutes considérables à propos de la nouvelle expérience que le gouvernement tentait au Sénat, et il ne s’en cachait pas. Malgré cela, nous avons accueilli tous les nouveaux sénateurs. Nous avons trouvé des façons de procéder pour qu’ils aient des sièges dans les comités. C’est ce que nous avons toujours fait.

Encore aujourd’hui, je peux vous dire en tant que leader que j’ai tendu la main aux deux vrais sénateurs indépendants au Sénat. J’ai eu des conversations avec eux, et ce n’était pas parce que le sénateur Mercer ou quelqu’un d’autre avait présenté une motion. Cela allait de soi parce que je sais qu’ils ont leur mot à dire. La sénatrice McPhedran peut en témoigner. Nous leur avons tendu la main parce que nous croyons qu’ils ont un rôle à jouer.

De plus, comme je suis au fait des règles et des procédures du Sénat, je sais qu’aucune autre chambre du système parlementaire de Westminster ailleurs dans le monde n’a des règles aussi favorables aux sénateurs non affiliés. Chaque soir et chaque après-midi, combien de fois a-t-on vu le Président ou la Présidente intérimaire se lever et dire : « Avec le consentement du Sénat »? Cela veut dire tout simplement que n’importe quel sénateur peut dire au Président qu’il n’accorde pas son consentement. Qu’il s’agisse de la sénatrice McPhedran ou du sénateur Woo, tous sont égaux dans cette enceinte.

Cette semaine, combien de projets de loi n’auraient pas pu franchir rapidement les étapes de la deuxième et troisième lecture pour devenir loi si la sénatrice McPhedran — que je considère comme l’une des rares personnes véritablement indépendantes, tout comme le sénateur Brazeau — n’avait pas accordé son consentement? Ils n’appartiennent pas à un groupe. Ce ne sont pas des leaders. Or, ils auraient pu empêcher l’adoption de tous les projets de loi que nous avons étudiés cette semaine. Ils ont autant de pouvoir que les autres, y compris le leader du gouvernement. À vrai dire, ils ont probablement encore plus de pouvoir. Nous devons tenir compte de la volonté de ces sénateurs indépendants.

Il est donc absurde de croire qu’un sénateur se joint à un groupe parce que cela lui donne plus de pouvoir. Que Dieu la bénisse, la sénatrice Anne Cools m’a appris cette leçon alors que je siégeais comme simple sénateur et leader du gouvernement sous le gouvernement conservateur à l’époque. Chaque fois qu’il y avait un projet de loi du gouvernement, nous nous tournions vers la sénatrice McCoy — Dieu ait son âme — et la sénatrice Cools et nous disions : « Bon sang, j’espère qu’elles seront en faveur de ce projet de loi du gouvernement, sinon il ne sera jamais adopté et nous allons être ici pendant des semaines. » Pas vrai? Combien de fois avons-nous dû siéger le vendredi et le lundi parce que les sénatrices Cools et McCoy n’étaient pas contentes? Bien sûr, je dis des choses qui pourraient donner des munitions à la sénatrice McPhedran. De plus, je peux vous dire qu’elle m’appelle régulièrement pour obtenir des conseils. Elle a vite appris les rudiments de la procédure, et elle utilisera son savoir très bientôt. Monsieur le leader du gouvernement, je suis désolé. Sénatrice McCallum, pour répondre à votre question, c’est la nature du Sénat.

Je vous regarde avec curiosité depuis votre arrivée. Vous apprenez vous-même très rapidement et contribuez de plus en plus d’une merveilleuse façon. Je remarque le nombre et la teneur des projets de loi d’initiative parlementaire que vous déposez et des motions que vous proposez. Vous représentez votre communauté avec brio. Cela n’a rien à voir avec le groupe auquel vous êtes affiliée. Vous le faites parce que vous exercez votre droit en tant que parlementaire. Vous proposez d’excellentes motions, les présentez avec éloquence et persuadez suffisamment de vos collègues pour que vos projets de loi soient adoptés et deviennent des lois de notre pays. C’est ainsi que cela fonctionne.

Quiconque pense que cet endroit est conçu pour conférer un quelconque avantage à un groupe majoritaire se trompe. Au contraire, les sénateurs les plus désavantagés en tant que groupe au Sénat, ce sont ceux qui font partie du caucus qui forme le gouvernement. Je le sais parce qu’à mon arrivée, je faisais partie du caucus au pouvoir. Le sénateur Gold et la sénatrice Gagné ont la tâche la plus ardue ici et celle-ci est d’autant plus difficile maintenant en raison de ces divers groupes aux valeurs différentes qu’il faut rassembler. J’espère que cela répond à la question.

Comme je l’ai dit, quiconque se sent en quelque sorte diminué parce qu’il est indépendant ou fait partie d’un groupe plus petit a tort. Je répète mon argument. Lorsqu’un sénateur est nommé président ou vice-président d’un comité, il représente un caucus. Il représente de nombreux autres sénateurs. Encore une fois, pensons à tous les accommodements qui sont faits en dépit du Règlement. Combien de fois avons-nous accepté de faire abstraction du Règlement en disant « nonobstant tel ou tel article »? Pourquoi? Parce que nous faisons des concessions. Nous sommes conscients que nous devons être courtois les uns envers les autres pour être une institution crédible.

(2000)

J’espère que nous continuerons d’agir ainsi, soit de manière coopérative et respectueuse, et non hostile. Oui, parfois, nous nous livrons à des joutes politiques. C’est notamment le cas du sénateur Gold et moi. J’ai le plus grand respect pour lui, et j’espère qu’il éprouve un certain respect pour moi. Nous trouvons des moyens de travailler ensemble. Nous mettons la politique de côté lorsque c’est nécessaire, et nous agissons dans l’intérêt du pays. Nous finirons bien par régler tous les problèmes de tous les groupes que nous représentons. Merci.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénatrice McCallum. Il y a d’autres sénateurs qui souhaitent poser une question. Je vous redonnerai la parole si le temps le permet.

Sénateur Quinn, aviez-vous une question?

L’honorable Jim Quinn : Oui.

Honorables sénateurs, tout ce débat est très intéressant pour le nouveau sénateur que je suis. J’ai été nommé en tant que sénateur indépendant. J’ai ensuite choisi un groupe, mais je n’ai pas renoncé à mon indépendance. Plutôt, je me suis joint à un groupe qui semblait partager ma philosophie, au-delà de mon indépendance.

Chose certaine, je pense que je dois respecter, à bien des égards, le travail accompli par les leaders pour l’institution en ayant des discussions sur la proportionnalité. Je respecte les négociations qui ont eu lieu. Cependant, les discussions des derniers jours ont été très utiles pour entendre les deux camps.

Je dois dire que j’ai des sentiments partagés. En effet, je veux respecter les négociations qui ont été menées par les leaders. Toutefois, je pense qu’il est important que je puisse parler en tant que sénateur qui a été nommé à titre d’indépendant et qui a choisi un groupe qui ce soir ressemble de plus en plus à un caucus — je suis désolé de devoir le dire, mais c’est la réalité. Je ne vois pas comment je pourrais même envisager de changer de groupe ou de devenir indépendant, si cette décision entraînait la perte d’un siège à un comité. J’ai une responsabilité envers les Canadiens parce qu’on m’a demandé de siéger à un comité en raison d’un ensemble de compétences particulières que je peux représenter. Tout ce débat m’inspire des sentiments partagés. Je suis sûr que ce genre de situation n’est pas rare.

Comment justifier l’indépendance de cette institution modernisée, une institution qui continue d’évoluer? Comment justifier cela alors qu’en même temps, c’est presque comme punir quelqu’un parce qu’il a pris la décision de se réaligner?

J’espère que le réalignement de la philosophie d’une personne ne se fait pas du jour au lendemain. J’ose espérer qu’il s’agit d’une évolution. Mais je ne pense pas que cet ensemble d’aptitudes et de compétences doive être retiré d’un comité au sein duquel le sénateur siège et contribue au nom des Canadiens, et non au nom d’un groupe.

Comment rationaliser tout cela?

Le sénateur Housakos : Sénateur Quinn, voilà tous de bons arguments, mais, sauf votre respect, la vérité, c’est que ce ne sont pas les Canadiens qui vous ont nommé à un comité. Le caucus conservateur du Sénat m’a nommé à quelques comités, mais ce ne sont pas les citoyens canadiens qui m’y ont nommé.

Supposons que je change de point de vue demain matin et que je décide de me joindre au Groupe des sénateurs canadiens ou au Groupe progressiste du Sénat, par exemple. À ce moment-là, il me faudrait respecter le groupe qui m’a confié du travail dans un certain comité.

Je répète que votre privilège de sénateur n’est pas perdu. Vous et moi pouvons faire valoir notre point de vue et participer aux travaux de n’importe quel comité, mais dès qu’on y siège comme président ou vice-président, qu’on siège à un comité directeur ou qu’on a le droit de voter à un comité, encore une fois, c’est qu’on y a été envoyé. Il faut rendre des comptes chaque semaine à son groupe.

Il n’existe malheureusement pas encore de mécanisme au Sénat pour rendre des comptes aux Canadiens. Nous ne nous présentons pas aux élections tous les quatre ans. En outre, même en ce qui concerne les premiers ministres qui nous ont nommés au Sénat, ils n’ont pas beaucoup de responsabilités envers nous, étant donné que nous pouvons siéger ici jusqu’à 75 ans.

L’autodiscipline que cet endroit exige des groupes auxquels nous pouvons nous associer sur le fondement de leur idéologie est ce qui s’approche le plus d’une discipline et d’une organisation. Vous avez raison de dire qu’un sénateur qui décide de changer de groupe le fait pour des raisons idéologiques, et non en fonction d’un calcul intéressé.

Si je décide demain matin de quitter mon groupe et que je perds mon poste de président d’un comité pour cette raison, le poste de président ne me revient pas de droit. J’ose croire que j’ai été nommé président de différents comités au fil des ans en raison de l’expertise que j’avais et que c’est ce qui avait motivé mon caucus à me choisir pour ces comités. Si je quitte le caucus conservateur pour me joindre à un autre groupe, cet autre groupe choisira de m’envoyer le représenter là où il le jugera opportun.

Encore une fois, c’est compliqué, parce que nous ne formons pas une assemblée comme les autres. Ce qui différencie le Sénat, c’est que ses membres sont nommés. Les membres des comités sont, eux, nommés par les groupes qui les représentent. Il n’y a pas d’élections. Par exemple, les membres, les présidents et les vice-présidents des comités ne sont pas élus ici. La raison pour laquelle nous ne le faisons pas, c’est que nous nous retrouverions sous la dictature du groupe le plus grand, par exemple.

Au fil des ans, il est arrivé souvent que les libéraux aient une forte majorité de 70 ou 80 sièges alors que les conservateurs s’étiolaient. Il est aussi arrivé que le caucus libéral se rétrécisse jusqu’à ne compter que quelques membres.

D’ailleurs, comme tous les sénateurs indépendants qui arrivent ici pensent que le Règlement du Sénat pose problème, j’en profite pour informer tous les sénateurs qu’au final, la notion de majorité est en cœur du Sénat. Si le Sénat a pu survivre et demeurer un organe cohérent, c’est que le groupe majoritaire doit comprendre, même quand il devient très nombreux, que la crédibilité du Sénat repose sur la façon dont la majorité traite la minorité; c’est essentiel, sinon le Sénat s’effondre.

Je l’ai rappelé en 2016, à l’arrivée d’une petite minorité qui est devenue depuis une pluralité et une majorité. Il a fallu tenir compte des besoins de cette minorité, même si cela ne plaisait pas à la majorité. Je suis au Sénat depuis assez longtemps pour savoir que je fais maintenant partie de la minorité. Dans cinq ou sept ans, bon nombre d’entre vous seront aussi dans la minorité. C’est la nature de la démocratie. La façon dont nous nous traitons mutuellement est donc d’une importance capitale.

Son Honneur le Président : Sénatrice Duncan, avez-vous une question?

L’honorable Pat Duncan : Merci, Votre Honneur. Je suis très reconnaissante d’avoir la chance de participer à cette discussion et de poser une question au sénateur Housakos.

D’abord, j’aimerais dire que j’approche de mon troisième anniversaire en tant que sénatrice. Dès le début, j’ai été impressionnée et charmée par chaque sénateur. Le Sénat est composé de Canadiens talentueux, brillants et dynamiques. Je me sens privilégiée de pouvoir servir la population canadienne à vos côtés, chers collègues.

C’est justement la valeur que j’accorde aux talents et aux compétences de chacun des sénateurs qui m’amène à poser une question. J’ai écouté attentivement les débats et j’ai maintes fois entendu « le Sénat nomme ». C’est vrai parce que l’on parle du Sénat dans son ensemble. Ce sont tous les sénateurs qui approuvent le rapport du Comité de sélection où apparaissent les noms des sénateurs qui composent les divers comités et leurs services.

Les leaders se sont rencontrés et ils sont d’accord avec la liste des noms inscrits, mais leurs groupes ont tranché. Les sénateurs nommés pour siéger aux divers comités sont énoncés dans le rapport du Comité de sélection. Personne n’a remis en question ce rapport. Aucun sénateur n’a dit : « Attendez un instant. Jetez un œil attentif à la composition de tous ces comités. »

Le problème que je vois, c’est que nous n’utilisons pas les talents de tout le monde et que nos comités ne reflètent pas la diversité du pays et ne représentent pas nécessairement sa population. Je présente mes excuses au sénateur Mockler et à mes collègues au Comité des finances nationales, mais j’y suis la seule qui représente une région à l’ouest de l’Ontario. J’estime que c’est un problème.

Tous les sénateurs ont approuvé le rapport du Comité de sélection, mais personne ne s’est dit en l’examinant : « Aucun Autochtone ne siège à ce comité. » Pourtant, les entreprises autochtones contribuent pour 32 milliards de dollars au PIB. Voilà ce qui me préoccupe.

(2010)

Sénateur Housakos, j’ai le plus grand respect pour votre expertise et votre connaissance du Règlement et je respecte et comprends parfaitement les arguments qui ont été présentés.

Je tiens à demander au sénateur Housakos s’il estime que ce que j’ai mentionné constitue un problème et s’il a une suggestion pour le régler.

Le sénateur Housakos : Je vous remercie, sénatrice. Évidemment, je comprends. Il sera toujours possible de peaufiner les détails. Il n’existe pas de système parfait.

Je voudrais souligner, chers collègues, que, dans le monde occidental démocratique — et si j’ai les bons chiffres, je crois qu’on pourrait dire parmi toutes les Chambres démocratiques de la planète —, c’est le Sénat qui présente la plus grande diversité. Si je ne m’abuse, nous avons rejoint d’autres assemblées en ce qui a trait à la parité hommes-femmes. La représentativité du Sénat est très bonne en ce qui a trait aux minorités visibles, ethniques et linguistiques. Je le répète, le Sénat se compare avantageusement à n’importe quelle autre assemblée parlementaire dans le monde.

En ce qui concerne la composition des comités, est-ce qu’elle est parfaite en tous points? Prenons le Comité des peuples autochtones. Je vais vous dire ce que je pense. Je crois qu’il n’y a pas assez de non-Autochtones au sein de ce comité. Dans le processus en cours de réconciliation nationale, des gens comme moi ont besoin d’en apprendre encore beaucoup sur l’histoire de notre pays et sur cette question. Honnêtement, quand je regarde la composition de ce comité, je trouve qu’elle repose sur des stéréotypes; les seules personnes qui s’intéressent aux enjeux concernant les Autochtones ou qui veulent en discuter, ce sont les Autochtones. C’est ce qui me frappe.

Prenons le Comité des langues officielles. Est-ce que les seules personnes que cette question intéresse sont les francophones? N’intéresse-t-elle pas les anglophones? C’est l’impression que cela donne.

Ce ne sont là que quelques exemples. Je suis convaincu que si nous examinons la chose plus en profondeur, nous en trouverons d’autres. Il est de notre responsabilité de soulever la question auprès de notre groupe, d’en discuter avec nos leaders, de secouer la cage, de revenir à nos groupes de leaders et de tenter de régler le problème. Comme je l’ai dit plus tôt, nous essayons d’être justes et fidèles au meilleur de nos capacités. Nous comprenons les problèmes et tentons de les résoudre.

Le Canada et cette institution sont parfaitement imparfaits. Le seul moyen de rectifier la situation est de reconnaître que ce processus est inachevé et continue d’évoluer. Je suis convaincu que tous les autres groupes de leaders le reconnaissent.

Nous avons un autre problème. Nous tentons d’être justes envers tous les groupes. Toutefois, à mesure que la taille des groupes diminue, ceux-ci ne sont pas aussi largement représentatifs de l’ensemble de la population du pays et de l’ensemble des groupes linguistiques. Nous pouvons parler des iniquités dans le processus et de ce qui rend cette institution imparfaite.

Je viens du Québec. Cette province compte 24 des 105 sénateurs. Les provinces de l’Ouest — la Colombie-Britannique, l’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba — comptent elles aussi 24 sénateurs. C’est donc dire que la seule province du Québec est représentée par autant de sénateurs que ces quatre provinces mises ensemble. Les provinces de l’Atlantique, quant à elles, sont surreprésentées. Nous pouvons débattre de la façon dont la Constitution a vu le jour et dont on a persuadé les deux peuples fondateurs de venir à la table de négociation. Ceux d’entre nous qui connaissent l’histoire savent que si ce n’était de la composition inégale du Sénat, le Canada n’aurait probablement jamais été fondé et nous ne serions pas ici à tenter de le rendre encore meilleur.

Bref, sénatrice Duncan, nous avons fait beaucoup de chemin, et nous y sommes parvenus à force de patience, de tolérance et de négociation. Le Canada est le fruit de négociations, et non du populisme et de l’anarchie. On ne soumettait pas toutes les petites questions à des votes. Le Canada a vu le jour grâce à des consultations, à la coopération et à des débats, parfois acrimonieux. Cependant, le modèle de Westminster est conçu de façon à ce que ces débats acrimonieux se déroulent loin des feux de la rampe. Le sénateur Gold et moi pouvons nous engueuler et nous fâcher l’un contre l’autre. Or, quand le Sénat siège, nous réglons nos différends, et nous passons aux choses sérieuses. C’est ainsi que je vois les choses.

Son Honneur le Président : Sénateur Kutcher, souhaitez-vous poser une question?

L’honorable Stan Kutcher : Oui, mais je ne suis pas certain, Votre Honneur, si la sénatrice Duncan avait une question complémentaire.

Son Honneur le Président : Sénatrice Duncan, avez-vous une question complémentaire?

La sénatrice Duncan : Oui, mais dans l’intérêt...

Son Honneur le Président : Excusez-moi, madame la sénatrice. Je mets votre nom sur la liste, parce qu’il ne reste plus beaucoup de temps, et que d’autres sénateurs souhaitent intervenir.

La sénatrice Duncan : Je comprends. Merci.

Le sénateur Kutcher : J’ai une question à poser au sénateur Housakos, mais j’aimerais faire d’abord une observation. Je pense que nous nous montrons réciproquement toute l’importance que nous accordons à bien comprendre l’évolution que connaît le Sénat, ce qui n’est pas une mauvaise chose.

Sénateur Housakos, je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu votre réponse à la remarque du sénateur Quinn et j’aimerais apporter une précision. Je pensais vous avoir entendu dire que lorsque nous siégeons dans un comité, nous parlons dans ce comité au nom du groupe.

Or, je ne parle pas au nom du Groupe des sénateurs indépendants lorsque je siège dans un comité. Je siège dans un comité pour lequel j’ai un intérêt et une expertise, et je m’exprime sur cette base en tant que sénateur indépendant; je ne m’exprime pas en tant que membre d’un groupe.

La plupart des collègues que je connais bien voient leur rôle de la même manière : en comité, nous ne parlons pas de ce qu’un groupe nous dit de dire. Nous intervenons en nous fondant sur notre expérience personnelle, notre expertise et nos valeurs.

Je suis donc un peu étonné par votre réponse, si je vous ai bien compris, car je pense que nous avons une divergence d’opinions fondamentale. Je vous saurais gré de corriger ma compréhension ou de me donner de plus amples explications afin de m’aider. Merci beaucoup, sénateur.

Le sénateur Housakos : Merci, sénateur Kutcher. N’oubliez pas que j’ai dit que je ne prévoyais pas intervenir dans ce débat, mais que je voulais simplement faire quelques observations.

Je vais m’expliquer davantage, car nous disons essentiellement la même chose. Évidemment, le groupe que vous représentez vous nomme à un comité en fonction de votre expertise et de vos connaissances. Au moment de choisir les membres des comités, je peux vous assurer que les leaders de tous les groupes choisissent les meilleurs candidats, soit ceux qui ont le plus de connaissances, d’expérience et d’intérêt pour le domaine.

Cela dit, nous choisissons également de travailler avec un groupe ou un caucus qui représente nos valeurs, et nous défendons ces valeurs. Ce n’est pas par hasard que vous vous êtes retrouvé dans le groupe auquel vous appartenez, ni que ce groupe estime que vous êtes la meilleure personne pour remplir vos fonctions. En toute franchise, je crois que ces deux choses ne sont pas mutuellement exclusives.

Cependant, il peut arriver — car c’est ainsi que le Parlement fonctionne — que vous et moi, dans le cadre de nos différentes fonctions au sein des comités, exprimions un point de vue qui n’est pas forcément partagé par le groupe. C’est ce qu’on appelle la démocratie. C’est le genre de chose qui peut arriver dans le cadre de nos travaux, de nos discours politiques et des échanges avec des groupes politiques.

Je ne crois pas que quelque leader ou groupe que ce soit fasse la microgestion des représentants qu’il nomme aux divers comités car, comme je l’ai dit, si vous faites partie d’un comité, c’est pour une raison. Vous êtes probablement la personne qui guide et dirige le débat au sein de votre groupe.

Lorsque j’étais président du Comité du Règlement, je crois que mon groupe m’avait choisi pour ce poste en raison de mes connaissances en matière de procédure, de règles et de droit parlementaires, et ainsi de suite. Je vous assure que j’ai dirigé les débats au sein de mon groupe, mais on m’a choisi pour faire partie de ce comité afin d’y représenter les intérêts de mon groupe. Je cite les comités de l’éthique, du Règlement et de la régie interne parce qu’il ne s’agit pas de rôles philosophiques, mais administratifs. Ce serait totalement anarchique et antidémocratique si les présidents, les vice-présidents et les membres de ces comités se retrouvaient à ne représenter qu’un seul groupe au Sénat. Le Sénat cesserait alors d’être représentatif et démocratique. Pour revenir à mon point initial, il s’agit là d’une atteinte au privilège d’un grand nombre de sénateurs. On risque d’enfreindre le privilège de nombreux sénateurs.

Sénateur Kutcher, je ne crois pas que nos opinions soient diamétralement opposées. J’espère avoir clarifié mon point de vue.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant que le prochain sénateur ne pose une question, je vous rappelle qu’il ne reste qu’un peu plus de cinq minutes au sénateur Housakos et que quatre sénateurs souhaitent lui poser une question. Je vous demanderais donc de poser de courtes questions.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Sénateur Housakos, ma question sera brève.

Je ne sais pas si je vous ai bien entendu, mais comme vous avez parlé de la possibilité de changer de philosophie politique, vous pourriez songer à intégrer le Groupe progressiste du Sénat ou le Groupe des sénateurs canadiens.

Est-ce que le fait que vous ne mentionnez pas le Groupe des sénateurs indépendants (GSI) signifie que, par principe, vous excluez la possibilité de devenir éventuellement membre d’un groupe comme le GSI?

(2020)

Le sénateur Housakos : Non, pas du tout. Le GSI est un groupe comme les autres. Comme tout le monde l’a constaté, il a réussi à attirer bon nombre de représentants et de représentantes et il compte plusieurs membres. Il se porte bien et je n’éprouve aucune difficulté.

[Traduction]

L’honorable Marty Klyne : J’ai vraiment l’impression que nous avons perdu de vue la question à l’étude, c’est-à-dire la transférabilité de ces sièges.

À mon humble avis, qui ne repose pas sur une ancienneté aussi longue que la vôtre, les sièges sont une monnaie d’échange, un outil de rétention et des menottes dorées. La sénatrice McCallum a effleuré cette idée quand elle a parlé du bon jumelage dans un groupe, quand un membre qui ne se sent pas à sa place reste pour continuer de faire partie du comité en question. Je ne veux pas parler à sa place, mais la sénatrice garde-t-elle son siège parce qu’elle estime que sa place est au sein de ce comité?

J’aimerais vous remémorer les sages propos de l’ancien sénateur Robert Peterson, qui disait que les comités sont le lieu où des travaux essentiels sont effectués. J’ai entendu nombre de sénateurs reprendre ses propos. Je suis du même avis. C’est vraiment là où nous effectuons une grande part de nos réalisations. Nous examinons les projets de loi et nous nous penchons sur des sujets d’intérêt national qui n’attirent pas l’attention.

Je commence à perdre le fil, mais la question qu’il faut régler selon moi, c’est celle de la transférabilité. Je sais que j’ai déjà vu un sénateur quitter un groupe et conserver son siège, au grand dam du groupe qu’il avait laissé. Quand le sénateur a quitté le groupe, celui-ci comptait sur la règle voulant que les sièges ne soient pas transférables et il affirmait que le sénateur n’aurait pas dû le conserver. L’autre groupe, celui qui avait accueilli le sénateur, a dit : « C’est faux. Il peut conserver son siège. » Il y a un peu d’hypocrisie dans ce dossier.

Ce que j’aimerais savoir, c’est pourquoi un siège ne peut pas être transférable. Je le répète, à mon avis, les sièges sont une monnaie d’échange, un outil de rétention et des menottes dorées.

Le sénateur Housakos : Je ne pense pas du tout que c’est le cas. Il s’agit de maintenir le respect de la proportionnalité et du semblant de fonctionnement de cette institution sans que cela devienne le Far West, où les votes sur les sièges deviennent négociables avec les groupes. Au contraire, tout sénateur qui change d’affiliation perd son droit de vote dans un comité puisque, comme je l’ai dit, il faut respecter la proportionnalité, mais cela ne l’empêche pas de faire le travail.

Cette législature, je ne fais plus partie du Comité des affaires étrangères et du commerce international. C’est l’une de mes passions. Comme le montre mon travail au Sénat, je travaille beaucoup sur les questions de droits de la personne et d’affaires étrangères. Le Comité des affaires étrangères et du commerce international touche à environ 80 % de mon travail au Sénat. Malheureusement, en raison de la représentation proportionnelle de notre groupe, nous ne sommes plus que deux membres à siéger à ce comité. Deux d’entre nous ont donc dû céder leur siège. J’étais l’un d’entre eux.

Croyez-vous que faire partie de tel ou tel groupe m’empêcherait de présenter les motions que je veux ou de déposer un projet de loi d’initiative parlementaire? Croyez-vous qu’on pourrait m’empêcher de participer aux débats du Comité des affaires étrangères et du commerce international? Absolument pas. Je pourrai toujours y aller et participer. Je pourrai toujours poser des questions, mais je ne pourrais pas voter officiellement au nom de mon groupe ou de tout autre groupe en raison de l’exigence de proportionnalité.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie des commentaires que vous avez faits.

Le sénateur Housakos : Je vous remercie, sénatrice McCallum.

L’honorable Marilou McPhedran : Acceptez-vous de répondre à une question, sénateur Housakos?

Le sénateur Housakos : Absolument.

La sénatrice McPhedran : D’abord, la discussion de ce soir me plaît beaucoup. Je suis aussi très impressionnée par votre façon d’esquiver les questions avec vos réponses érudites. Cependant, je vais voir si nous pouvons rester concentrés.

D’une certaine manière, ma question rejoint ce qu’a dit le sénateur Woo. Selon les règles actuelles, si on m’attribuait un siège à un comité et que je changeais d’affiliation, ou que je cessais d’être non affiliée ou que je le devenais, je garderais le siège pour le reste de la session, n’est-ce pas?

Si le rapport du Comité de sélection est mis aux voix et adopté, un sénateur qui change d’affiliation ou dont le groupe doit apporter des correctifs pour quelque raison que ce soit — si je puis dire — peut voir son siège lui être retiré. Est-ce bien le cas? Merci.

Le sénateur Housakos : Oui.

La sénatrice Duncan : Je veux simplement rappeler au sénateur Housakos que ce n’est pas la période des questions. Je lui saurais gré de me donner une réponse courte et directe.

Serait-il possible de former les comités d’une façon qui tiendrait compte des compétences et des talents de tous les sénateurs et qui garantirait une représentativité? Existe-t-il une autre méthode? Bien sûr, je ne voudrais pas le faire dans le cadre des débats du Sénat et faire de la microgestion. Le sénateur Housakos proposerait-il, par exemple, que le Comité du Règlement étudie le sujet?

Le sénateur Housakos : Une étude du Comité du Règlement est toujours une bonne idée. Tout ce que je dis, c’est qu’il y aura toujours des circonstances où les caucus prennent des décisions qui plaisent à certains et déplaisent à d’autres. Aucun processus n’est parfait. J’en suis conscient.

Toutefois, dans l’ensemble, je ne me souviens d’aucune situation dans cette institution où un président, un vice-président ou un membre d’un comité n’apportait pas une précieuse contribution et n’aurait pas dû être là. On peut soutenir qu’une personne conviendrait mieux ou moins bien qu’une autre, mais selon mon expérience, je crois que tous les sénateurs choisis s’acquittent de la tâche qui leur est confiée avec dignité et professionnalisme. C’est la raison pour laquelle les comités sénatoriaux sont reconnus au Parlement comme effectuant le meilleur travail. Cela n’a rien de nouveau. Les témoins et les parties intéressées le reconnaissent depuis des décennies.

Cela signifie que le système n’est pas si mal géré que cela.

Le sénateur Kutcher : Si j’ai bien compris la réponse du sénateur Housakos à ma question — et je tiens à reconnaître que le sénateur Housakos et moi avons tous deux un attachement pour les Canadiens de Montréal, bien que, cette année, ce soit très difficile — je ne suis pas sûr d’être d’accord avec ce que l’on vient de dire.

Je tiens à apporter une précision. Ce que je vous ai entendu dire, c’est que le sénateur ne représente pas les vues du groupe lorsqu’il siège au comité. Il présente son point de vue et sa perspective. Il n’est pas le porte-parole du groupe au sein d’un comité. Si c’est le cas, puisqu’ils ne sont pas les porte-parole du groupe, ne devraient-ils pas être libres de passer d’un groupe à l’autre parce qu’ils sont indépendants et qu’ils présentent leur propre perspective?

Par conséquent, la proportionnalité — j’essaie de comprendre — peut être en jeu dans l’attribution des sièges. Et cela me semble tout à fait logique. Mais une fois que les sièges sont attribués pour la durée de la session, si le sénateur n’est pas le porte-parole du groupe au sein du comité, puisqu’il siège au comité en tant que sénateur libre, s’il choisit de changer de groupe, ne devrait-il pas simplement déplacer son siège vers un autre groupe? Parce que vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Vous ne pouvez pas siéger à un comité en tant que sénateur indépendant, parler d’une voix indépendante et être le porte-parole de votre groupe. Cela ne fonctionne pas de cette façon, à ma connaissance. Donc, merci, sénateur.

(2030)

Le sénateur Housakos : Sénateur Kutcher, nous nous entendons sur de nombreux sujets, surtout le hockey. Cependant, en ce qui concerne cette question, je pense que nous ne sommes pas tout à fait dans le même clan. Quand vous exercez vos fonctions en tant que membre d’un comité, vous vous exprimez assurément selon votre conscience et votre manière de concevoir les choses, mais quand vous décidez aussi de vous affilier à un groupe — comme je l’ai mentionné plus tôt dans ce débat interminable — vous optez pour un groupe qui partage vos valeurs et votre manière de concevoir les choses. Ainsi, cela confirme qu’il est fort probable que vos arguments et votre travail au sein du comité sont compatibles avec la vision du groupe auquel vous appartenez.

En terminant, je dirais que tout ce que nous faisons ici sert à persuader nos collègues d’adopter nos politiques. Nous nous affilions à des groupes pour avoir des alliés qui nous aideront dans nos efforts de persuasion afin de faire adopter des projets de loi et des motions, entre autres. Je pense que le sénateur Kutcher fait partie du Groupe des sénateurs indépendants. Est-ce exact? Je ne sais pas comment fonctionnent les choses au sein de ce groupe, mais dans le caucus conservateur, nous tenons compte des capacités et des opinions de nos membres. Je pense, bien sûr, à ceux d’entre nous qui siègent à des comités. Lors des réunions des comités, avant de déposer des rapports dans cette enceinte, nous nous consultons. Nous usons de nos pouvoirs de persuasion. Parfois, nous réussissons à nous entendre. Je suppose que c’est la même chose pour tous les groupes. Puis, nous venons dans cette salle, et après avoir persuadé la majorité de notre groupe de nous appuyer, nous tentons de persuader les autres groupes au moyen, notamment, de négociations, de débats, de questions et de réponses.

Pour répondre à votre question, je pense que tout n’est pas noir ou blanc. Je ne pense pas que le sénateur Kutcher ou le sénateur Housakos parlent exclusivement pour nous. Je pense que nous apportons une expertise, des connaissances et un point de vue. Je sais que nous avons tous les deux des convictions profondes, mais nous consultons notre groupe. Nous n’acceptons pas les ordres. Je pense que c’est là où le bât blesse. Même dans le caucus conservateur, nous n’acceptons pas les ordres. Nous tenons des discussions. Même au caucus national, nous tenons des discussions. Personne ne nous donne des ordres pour nous indiquer ce que nous devons faire. Croyez-moi, le caucus du Sénat en particulier n’aime pas beaucoup qu’on lui donne des ordres.

Je pense que c’est là où le bât blesse. Je ne pense pas qu’on parle exclusivement pour soi-même, et c’est là où je veux en venir. Je pense qu’on parle pour soi-même, pour sa conscience, mais qu’on représente aussi son groupe, parce que c’est lui qui nous a accordé le privilège de siéger au comité. C’est là où je veux en venir, mais je crois que je n’y arrive pas très bien, étant donné que tout le monde me questionne.

Son Honneur le Président : Sénateur Kutcher, avez-vous une autre question?

Le sénateur Kutcher : Je crois que le sénateur Housakos a besoin d’une pause.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, pendant la courte période de 15 minutes dont je dispose, j’essaierai de rester concentré pour répondre aux leaders des deux plus grands groupes, soit le sénateur Woo et le sénateur Housakos, et pour répondre aux questions que le sénateur Tannas a soulevées mardi.

Il y a une semaine, le Sénat a adopté, sans débat et avec le consentement unanime de toutes les personnes présentes, le premier rapport du Comité de sélection, qui désigne les sénateurs qui feront partie des comités du Sénat. C’était une étape cruciale pour organiser nos comités, dont bon nombre sont maintenant prêts à remplir leurs fonctions.

Ce faisant, nous avons agi conformément au chapitre 12 du Règlement, qui dit que le mandat du Comité de sélection est de désigner des sénateurs qui pourront être nommés aux comités et que le pouvoir de nomination appartient au Sénat.

Cette procédure suit les pratiques de la Chambre des communes, des deux Chambres du Parlement de Westminster et du Parlement de l’Australie. En outre, tous les spécialistes qui donnent leur avis sur le modèle de Westminster reconnaissent qu’une Chambre peut modifier la proposition d’un comité de sélection. Autrement dit, selon le modèle de Westminster, c’est la Chambre elle-même, et non les partis ou groupes politiques, qui nomme les membres aux divers comités.

De toute évidence, les groupes ont de l’importance à l’étape qui mène au rapport du Comité de sélection puis à la nomination. Ils servent à cerner les intérêts et l’expertise des sénateurs et à faire en sorte que tous les comités, même les moins populaires, comptent un nombre maximal de membres. C’est toutefois au Comité de sélection que devrait revenir la responsabilité de s’assurer qu’au final, la composition de chaque comité est représentative des Canadiens et de la société dans laquelle nous vivons.

Il ne faut pas confondre les processus internes qui varient d’un groupe à l’autre et le rôle du Comité de sélection, qui fait des propositions avant que le Sénat décide des nominations. Rappelons, en effet, que les sénateurs non affiliés sont égaux à tous les autres sénateurs et ont le droit de siéger à un comité. Ce droit n’est pas réservé aux sénateurs membres d’un groupe, comme l’a confirmé, en 2017, l’adoption du troisième rapport du Comité spécial sur la modernisation du Sénat, un mois avant que le Groupe des sénateurs indépendants soit reconnu officiellement comme un groupe.

Ainsi, pour protéger ce droit, conformément à l’article 12-1 du Règlement qui a été adopté à l’unanimité en 2017, les sénateurs non affiliés ont droit à un représentant au sein du Comité de sélection pour veiller à ce que son rapport inclue les noms des sénateurs non affiliés de plein droit. Malheureusement, cette règle n’a pas été respectée récemment puisque ni le sénateur Brazeau ni la sénatrice McPhedran n’ont été proposés pour occuper l’un des 193 sièges décrits dans le premier rapport du Comité de sélection. Cela ne me donne guère l’impression que l’égalité de tous les sénateurs, y compris les sénateurs non affiliés, est reconnue dans le processus de nomination. J’espère que cette situation sera corrigée rapidement, non pas en suppliant les groupes existants pour obtenir des miettes, mais bien lorsque les sénateurs participent aux travaux du Comité de sélection afin qu’ils attribuent un siège même aux deux sénateurs non affiliés. Cela représente 4 sièges sur 193. Nous en sommes loin si l’on considère les sénateurs Brazeau et McPhedran.

Malgré cette lacune, le Sénat a adopté le rapport la semaine dernière. Ce n’est qu’alors que les comités ont été constitués.

Ce qu’il faut retenir de ce processus, c’est que c’est le Sénat lui-même, et non les groupes, qui nomme les sénateurs aux comités.

Qui plus est, dans tous les Parlements inspirés du modèle de Westminster, les nominations aux comités permanents sont faites au moins pour la durée d’une session, voire d’une législature. Comme nous l’avons entendu au début de la semaine, le Sénat applique ce principe depuis 1867 et il l’a officiellement incorporé à son Règlement en 1969. Pourquoi en est-il ainsi? La réponse découle du rôle des comités, qui est résumé comme suit dans la préface de La procédure du Sénat en pratique :

Les comités ont toujours été un élément important du Sénat. C’est en comité que les sénateurs peuvent mettre le plus à profit leurs talents et leur expérience. Leurs compétences et leurs antécédents professionnels, combinés aux connaissances qu’ils acquièrent au Parlement, constituent un fondement solide pour leur participation aux comités. Les comités peuvent vraiment faire œuvre utile grâce à la stabilité des membres qui les composent. Et au fil des ans, les sénateurs en viennent à connaître à fond les dossiers complexes.

Cette citation est tirée du livre qui a été rédigé ici, au Sénat.

Maintenant, certains leaders proposent que nous acceptions, comme nous l’avons fait sans débat en mars 2020 et à nouveau avec un débat limité en octobre 2020, de rejeter ce principe de continuité. Ce principe est plus important aujourd’hui que jamais, étant donné qu’il assure une plus grande indépendance aux sénateurs pour choisir leur affiliation dans une Chambre où il y a maintenant davantage de groupes, ce qui leur permet ainsi une plus grande liberté de choix.

(2040)

Sérieusement, chers collègues, est-ce que l’un d’entre vous croit vraiment que si un sénateur change de groupe ou se désaffilie, il ne sera plus digne de la confiance du Sénat qui l’a nommé à un comité, ou encore qu’en changeant de groupe, un sénateur change d’opinion ou de point de vue sur un sujet?

Pourquoi, alors, essayer de changer cette règle de continuité? Certains disent que c’est pour préserver l’attribution proportionnelle des sièges. La sénatrice Bellemare et d’autres ont signalé mardi les failles de cet argument. La réponse se trouve ailleurs.

La modification du Règlement semble préserver ou même accroître le pouvoir des groupes et de leurs leaders. On l’a dit clairement ce soir, les sièges appartiennent aux groupes. Cela va à l’encontre de diverses tentatives visant à accroître la liberté individuelle des députés et des membres des Chambres hautes du modèle de Westminster.

Un rapport de 2009 du Comité sur la réforme de la Chambre des communes du Royaume-Uni a recommandé la poursuite des nominations pendant la durée de la législature en précisant qu’il était souhaitable d’éliminer du processus l’influence des whips des partis. Ce rapport a aussi exploré diverses avenues pour rendre plus démocratique et transparent le processus de nomination des comités.

Il est encore plus malheureux que cette enceinte se penche sur cette proposition puisqu’elle va à l’encontre du principe de l’indépendance du Sénat en tant qu’entité composée de sénateurs libres d’exprimer leurs opinions sur les dossiers et projets de loi à l’étude, libres de voter et libres de s’affilier, ou non, sans peur de représailles.

En fait, ce nouveau concept de transférabilité et d’appropriation des sièges par les groupes semble être né du fait que le sénateur Richards était devenu un sénateur non affilié en 2018. Le sénateur Richards avait conservé son siège au sein du Comité de la sécurité nationale et de la défense, où des votes serrés étaient attendus à l’égard du projet de loi C-71. Si le principe de la nomination pour la durée de la session avait été rejeté, comme il est proposé ce soir, les rapports de force auraient été très différents au sein de ce comité.

Autrement dit, les résultats concrets des travaux des comités peuvent être un facteur à la source de cette initiative ayant pour but de rejeter le principe de la nomination jusqu’à la fin de la session.

Dans une question adressée à la sénatrice Cordy mardi soir, le sénateur Tannas a abordé directement cet aspect. Quant à l’article 12-5 auquel le sénateur Woo fait référence à répétition ce soir, particulièrement le remplacement au sein des comités, il a déclaré :

[...] mais personne n’a parlé de l’article 12-5, qui dit essentiellement que les leaders peuvent, d’une signature, retirer n’importe quel membre d’un comité et nommer quelqu’un d’autre à sa place. Cela signifie donc que, jusqu’à la minute précédant la démission d’une personne, le leader peut lui retirer son siège. Ce n’est qu’après avoir démissionné qu’elle peut conserver son siège ou que le leader ne peut le reprendre. Le groupe ne peut le reprendre.

Comme l’a dit en réponse la sénatrice Cordy, si l’article 12-5 peut être interprété ainsi, le temps est venu de demander au Comité du Règlement, et non au Comité de sélection, d’étudier la question.

J’ai également du mal à accepter les suggestions selon lesquelles les règles protégeant les sièges pour la session ne sont pas importantes, en raison d’une règle rédigée en termes généraux sur les remplacements. À mon avis, une interprétation correcte indique le contraire. La règle sur la durée des nominations est le principe et la règle sur le remplacement est l’exception.

La règle sur le remplacement est en place depuis 1983. Sa raison d’être est de permettre des remplacements temporaires, comme l’a expliqué le Président Noël A. Kinsella en 2007 :

Le fait de permettre des changements à la composition des comités au cours d’une session facilite la coordination des travaux des caucus. Par exemple, si un sénateur doit s’absenter d’une réunion en raison d’autres responsabilités ou si un sénateur qui n’est pas membre d’un comité possède des connaissances particulières sur une question examinée par ce comité, [l’article 12-5] du Règlement offre la possibilité de tenir compte de ces circonstances.

En 2009, un rapport du Comité du Règlement a confirmé que, dans la pratique, l’actuel article 12-5 est appliqué de la façon suivante en ce qui concerne les remplacements temporaires :

[L]e sénateur qui ne peut participer aux travaux de son comité, que ce soit pour une réunion ou une période plus longue, est remplacé par un autre sénateur. Ensuite, lorsque le membre original peut revenir, il remplace son remplaçant — restaurant ainsi la composition originale du comité.

Par ailleurs, à l’autre endroit, la Chambre des communes, on ne peut apporter des modifications permanentes aux comités permanents que si la Chambre des communes en décide ainsi, comme on l’a vu lorsque la députée Leona Alleslev a quitté le Parti libéral pour se joindre au Parti conservateur. Des motions du comité de la Chambre qui correspond à notre comité de sélection doivent être adoptées à la Chambre des communes, et une motion d’adoption est requise à la Chambre des communes pour que le rapport en question soit adopté.

C’est aussi le cas au Sénat d’Australie et à la Chambre des communes du Royaume-Uni. Pour sa part, le Règlement de la Chambre des lords ne parle pas du retrait d’un membre d’un comité. Un remplacement requiert une motion adoptée par la Chambre des lords.

On ne s’étonnera probablement pas que, lorsque le Sénat a voté pour la suspension de l’article 12-2(3) du Règlement le 28 octobre 2020, l’ancien Président du Sénat, le sénateur Housakos, a voté pour conserver la pratique de Westminster fondée sur la durée des nominations.

Il ne fait aucun doute que l’article 12-5 a déjà été utilisé, par le passé, pour faire respecter la discipline du parti. Je trouve toutefois étrange d’entendre des sénateurs invoquer cet élément dans le Sénat actuel, du moins dans les groupes qui affirment que leurs membres sont libres de voter à leur guise et que le groupe ne prendra aucune mesure en vue d’arriver à un certain résultat, et où il n’y a pas de whip. On pourrait donc s’attendre à ce que les dirigeants de ces groupes n’aient pas recours à l’article 12-5 pour forcer le remplacement d’un sénateur, particulièrement si c’est pour atteindre un résultat précis, par exemple pour qu’il n’y ait pas d’amendement à l’étape de l’étude en comité.

La décision que nous prenons aujourd’hui influencera grandement la direction que prendra la réforme du Sénat, honorables collègues, car les changements proposés sont rétrogrades.

L’an dernier, notre ancien collègue, Murray Sinclair, nous a rappelé son idéal, celui d’un Sénat qui serait le conseil des anciens du Canada. Il a dit ceci :

Nous pouvons adopter une culture et une structure institutionnelle qui ressemblent davantage à un cercle de personnes indépendantes et nous éloigner des factions hiérarchiques [...]

En conclusion, je crois que l’adoption de ce rapport serait un mauvais service à rendre à l’indépendance individuelle, aux comités, au Sénat et à la réforme que nous tentons de réaliser, enfin, pour ceux qui y croient.

Honorables sénateurs, je vous exhorte respectueusement à voter contre ce rapport.

Merci. Meegwetch.

(Sur la motion du sénateur White, au nom du sénateur Tannas, le débat est ajourné.)

Recours au Règlement

L’honorable Stan Kutcher : Excusez-moi, Votre Honneur. Je ne sais pas comment aborder la question. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un recours au Règlement. C’est plutôt une question. Je ne veux pas nuire au sénateur White.

Une personne utilisant le pseudonyme ZoomGalUser12 s’est invitée dans notre débat pour faire des commentaires portant sur nos discussions dans le clavardage. Nous lui avons demandé qui elle était, mais la personne en question ne nous a pas répondu.

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C’est dans le clavardage. Nous débattons de ces questions. Des sénateurs ont publié des commentaires ou des questions dans le clavardage à l’attention de leurs collègues. Une personne utilisant le pseudonyme ZoomGalUser12 s’est invitée dans le clavardage, mais je ne vois pas de quel sénateur il pourrait bien s’agir.

Son Honneur le Président : Je vous remercie d’avoir soulevé ce point, sénateur Kutcher. Le Bureau vient de m’informer qu’il s’agit d’une des tablettes du Sénat, et nous tentons de confirmer de quelle tablette il s’agit. Un honorable sénateur présent dans la salle du Sénat utilise-t-il la tablette Zoom12?

Pouvez-vous attendre que nous réglions cette question, sénateur Quinn, ou vouliez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?

L’honorable Jim Quinn : C’est en lien avec cette question. Il y a au moins quatre autres utilisateurs avec l’identifiant ZoomGal sur la liste des participants.

Le sénateur Woo : Je fais partie des utilisateurs ZoomGal.

Son Honneur le Président : On m’informe que toutes les tablettes du Sénat portent l’identifiant ZoomGal, mais que les honorables sénateurs ne devraient pas les utiliser pour clavarder dans cette enceinte. Est-ce bien le cas?

Le sénateur Wells : Je peux assurer aux honorables sénateurs que je ne suis pas ZoomGalUser. D’après ce que j’ai compris, les débats devraient avoir lieu dans l’enceinte du Sénat ou sur Zoom, et non dans la fonction de clavardage de Zoom. Selon mon expérience, la fonction de clavardage de Zoom est utilisée en cas de problèmes techniques et autres questions du genre, et non pour participer activement aux débats de façon indirecte.

Décision de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, on m’informe que toutes les tablettes du Sénat portent l’identifiant ZoomGal, mais les honorables sénateurs présents dans l’enceinte ne doivent pas les utiliser pour clavarder sur Zoom. Je demanderais aux sénateurs de s’abstenir de le faire à l’avenir. Merci, sénateur Kutcher, d’avoir soulevé ce point.

(À 20 h 52, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 14 décembre 2021, à 14 heures.)

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